Chers Amis,
Je vous conseille vivement de lire cette interview d'Emmanuel Todd publiée dans la revue de nos amis de Parti Pris.
MNL
Pour télécharger l'intégralité de l'interview au format PDF (29 ko), cliquez ici
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Parti Pris - Le décrochage des élites et des masses populaires que vous dénonciez en 1995 s'est-il aggravé ?
Emmanuel Todd - Non seulement la dissidence des milieux populaires s'est renforcée mais les classes moyennes les ont aussi rejoints dans le non au référendum sur le TCE. Les causes et les conséquences de l'extension de la dissidence aux classes moyennes, qu'il faudrait définir, mériteraient une analyse économique sérieuse. Ce qui semble sûr c'est la récurrence au moment du référendum des questions liées à la mondialisation et au libre-échange.
La stagnation des salaires dans les catégories intermédiaires et l'emballement des prix de l'immobilier, forme d'inflation déguisée dans un système réputé de stabilité des prix, ont sans aucun doute joué. Ces facteurs économiques directs, ont aussi rendu obsolète le discours optimiste sur la globalisation et sur l'ajustement notamment face au décollage de la Chine qui ouvre une ère économique nouvelle.
Parti Pris - Que pensez-vous de la situation actuelle ?
Emmanuel Todd - Ce qui est troublant dans la situation actuelle c'est qu'on assiste à une montée de révolte, de colère sans que cela occasionne un début de réflexion chez les classes dirigeantes. Le discours libéral n'a pas fléchi. Au contraire, on voit plutôt un phénomène de raidissement et d'exaspération, parfois proche de l'hystérie dans les classes dominantes. Cet autisme des classes supérieures se renforce en parallèle du processus d'extension de révolte. On pourrait être dans une sorte d'année zéro avec un renforcement très préoccupant de forces antagonistes. Cette situation est dangereuse.
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Parti Pris - N'assiste-t-on pas justement à un affaiblissement du discours sur l'égalité ?
Emmanuel Todd - Il y a le discours de Fabius sur le smic quand même ! Pour moi, si la montée d'un mouvement égalitaire au XXe siècle est liée au développement de l'alphabétisation de masse, le développement des études supérieures a conduit au développement d'un substrat social inégalitaire. La réalité des forces profondes en France serait cette tension entre la montée d'un subconscient social inégalitaire et la résistance d'un inconscient égalitaire. Dans chacun des actes de révolte des milieux populaires ou des classe moyennes, on sent la coexistence des deux. Dans le vote FN, on peut ainsi voir une dimension égalitaire, « merde aux élites » et la recherche d'un bouc émissaire inférieur. On trouve inextricablement liées, les valeurs d'aspiration à l'égalité et à l'inégalité.
Parti Pris - L'un des enjeux à gauche serait donc de surmonter le défi de l'égalité…
Emmanuel Todd - L'urgence c'est de faire en sorte que les inégalités économiques montantes ne mettent pas en péril l'égalité civique, le suffrage universel. La réalité de la gauche aujourd'hui, c'est qu'elle est en situation défensive. C'est évident à l'échelle mondiale. Le pays le plus puissant, les Etats-Unis, s'est abandonné à l'inégalité. En France on sent comme un basculement. Il est vrai qu'il existe aussi un fonds anthropologique français spécifique des valeurs familiales, qui refuse les inégalités et reste attaché à l'égalité. Nous sommes actuellement dans une tension entre ces deux tendances, dans une phase d'hésitation où deux scénarios sont possibles. L'un soft repart vers l'égalité. L'autre, hard, tend vers une liquidation de la démocratie. Il n'y a pas de bon équilibre. Ce qui est sûr, c'est que si le PS n'est pas capable de désigner quelqu'un qui s'ancre à gauche et défend des valeurs de gauche égalitaires, on est sûr de la catastrophe.
Parti Pris - Que pensez-vous du positionnement actuel des deux grands partis que sont le PS et l'UMP ?
Emmanuel Todd - On est dans un contexte où les deux grands partis se sont déconnectés des aspirations réelles de la société. Le processus de désignation des candidats se fait par les sondages, par des groupies avant même que l'opinion ne se forme. Si ces candidats ne proposent rien qui correspond aux attentes des français, il y a le risque d'un vide tellement manifeste que d'autres candidats pourraient émerger indépendamment des désignations par les appareils des partis.
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