Comme d’habitude le gratin mondial s’est retrouvé à Davos. On a parlé changement climatique. Les américains qui, tout en ne s’engageant pas dans le protocole de Kyoto, ont profité de la période pour développer les technologies durables sont maintenant prêts et découvrent la nécessaire mobilisation contre l’effet de serre. Ils jouent désormais à fond la carte de la réduction des émissions polluantes d’autant que des simulations financières alarmantes sur l’impact du changement climatique viennent convaincre les derniers récalcitrants. Cet argument financier est, dans ce monde là, le seul capable d’ébranler les consciences !
Mais l’effet de serre ne fut pas le seul sujet de « préoccupations » des participants (le terme est sans doute excessif tant on est, dans ces sphères là, jamais réellement préoccupés). Voilà que bien des experts incontestés de la finance internationale, comme l’économiste en chef de la banque Morgan Stanley, osent mettre en évidence une réalité qui ne nous avait pas échappé mais qui demeurait dans l’ombre pour beaucoup : les classes moyennes paient, elles aussi, un lourd tribut à la mondialisation financière actuelle. Eh oui, les tenants du capitalisme financier transnational vendaient la globalisation comme capable d’induire un double progrès : les pays en voie de développement s’enrichiraient en même temps que les couches moyennes (concept d’ailleurs mal défini) des pays développés. Le monde ouvrier était sacrifié, sommé d’évoluer à marche forcée et mal récompensé. En quelque sorte, nos brillantes élites financières s’étaient résolues à sa disparition et à la dégradation de sa condition. Mais les classes moyennes, elles, étaient choyées et la perspective de leur mieux être devait permettre une alliance politique et sociologique susceptible de faire accepter le démantèlement des régulations sociales et politiques sur l’économie. D’ailleurs, la thématique du moins d’impôt était un thème unifiant et récurent de cette stratégie.
La gauche, en tout cas celle qui n’avait pas abdiquée en étant aveuglée par ce mythe du « gagnant gagnant », celle qui annonçait qu’après les ouvriers, les employés, ce seraient tous ceux qui vivent d’abord de leur travail, même les cadres, qui seraient touchés et tirés vers le bas, elle plaidait pour que nous refusions ce système par nature inégalitaire et cette fausse théorie qui prenait prétexte du développement du tiers monde pour généraliser le tout marché et la libre concurrence sans règle. Inavoué, le but était plus sordide: renforcer les profits du capital et rien d’autre. Cette gauche là se voit, hélas, confortée dans son analyse. Le même Stanley Roach, de Morgan Stanley, montre que la part des revenus bruts (salaires, transferts sociaux, retraites) est tombée à un des niveaux historiques les plus bas (54%) et que, dans le même temps, la part des profits ne cesse de monter : elle atteint 16%. Et pendant ce temps là certains dissertent sur la valeur travail !
Le pire dans cette affaire est que les prévisions pour l’avenir confirment la poursuite de cette tendance. Et nos protagonistes de Davos de s’émouvoir : et si tout cela avait de fâcheuses conséquences politiques, les populations poussant leurs Etats à un certain protectionnisme. Le pire, pour eux, c’est évidemment que la démocratie, les citoyens et la politique s’en mêlent. Alors ils multiplient les avertissements : rien ne serait pire que l’édiction de barrières ou des solutions « à court terme » comme la hausse des salaires minimaux, de nouvelles taxes ou la limitation des salaires des patrons. Bref tout ce qu’il faut faire, car la vie humaine se vit aussi à court terme et que les autres recettes qu’ils nous proposent sont des leurres qui ne changeront en rien ce profond déséquilibre de la répartition des richesses. Oui il faut développer la recherche, la formation, oui c’est essentiel mais cela ne suffira pas à régler les problèmes et à remettre en cause le cœur même du disfonctionnement du système. Il faut des normes sociales, environnementales contraignantes, une meilleure rémunération du travail et une modération des profits financiers. Hors de cette voie point de salut pour la France, pour l’Europe. Alors la gauche doit être à la hauteur et cesser de se cacher derrière son petit doigt.