Interview publiée dans Nord Eclair le 17 Mars 2007
L’une, Valérie Létard, sénatrice UDF, avait voté oui au projet de Constitution européenne.
L’autre, Marie-Noëlle Lienemann, députée européenne PS, avait voté non.
Deux ans plus tard, voici leurs regards croisés sur l’Europe à construire et la méthode à adopter pour y parvenir.
Comment presque deux ans après l'échec du référendum, analysez-vous le non français ?
Valérie Létard >> Il est dû à l’illisibilité de la question posée. Même les spécialistes ont dû s’y prendre à plusieurs fois pour comprendre. Ce texte n’était pas formaté pour un référendum. On nous demandait de nous faire une idée de l’Europe de demain sans donner les clés pour la comprendre. En prime, il y a eu un amalgame avec les problèmes internes français et mondiaux, le contexte des délocalisations, la directive Bolkenstein. Le non ne sanctionnait pas tant le texte que l’environnement du texte.
Marie-Noëlle Lienemann >> Les Français ont dit non parce que l’Europe était en crise. Et non l’inverse. Ils n’étaient pas d’accord avec l’Europe libérale qu’on nous proposait, avec les ambiguïtés de l’élargissement, avec la compétition entre pays qui prime sur la solidarité. Si nous revotions aujourd’hui, des partisans du oui diraient non. Les Français ont voté non sur le fond. Ils sont européens, mais ils rejettent l’Europe actuelle.
Ils ont rejeté ce texte parce qu’il n’apportait pas de réponses sur les questions qui angoissent, comme la mondialisation, le dumping social, l’Europe chantre de l’économie de marché ?
V.Létard >> Ils ont eu l’impression qu’accepter plus d’Europe, c’était accepter plus de libre-échange, plus de marché à tous crins, plus de mondialisation non maîtrisée. Dans la dernière décennie, la technocratie a pris le dessus tandis que l’Europe politique n’était plus clairement identifiée. C’était l’Europe des « normes ». Pourtant, notre région a bénéficié de fonds européens considérables et on n’a même pas été fichus de communiquer là-dessus. On a eu un retour sur investissement colossal ! L’Europe a joué la solidarité envers les territoires qui en avaient besoin. Grâce à elle, on a gagné dix ans dans la relance économique, la politique de la ville, le développement des universités, les politiques de formation, etc. Demain, l’enjeu sera de mobiliser des crédits pour rattraper notre retard et, même, prendre de l’avance, être capable de créer de la valeur ajoutée. C’est ainsi que, quels que soient nos coûts, on produira ici parce qu’on sera les seuls à savoir faire.
M.-N.Lienemann >> Si on avait voté oui, on aurait eu la directive Bolkenstein plein pot, le grand triomphe de l’Europe libérale. Quand les Français contestent l’absence de politique sociale à l’interne, ils contestent aussi l’absence d’Europe sociale. Ceux qui étaient pour le oui expliquent que les gens n’ont rien compris ou qu’ils n’ont pas voulu répondre à la question ! Ça va ! Les Français sont très au courant des dossiers européens. Ils savent quelle influence elle a sur leurs métiers. Ils n’approuvent pas toujours, mais ils connaissent. Ce traité a été rejeté car il pouvait installer dans la durée un système qu’ils ne veulent pas voir perdurer. On figeait une vision de l’avenir de l’Europe qu’ils refusent. Ils veulent une Europe sociale, une Europe qui les protège face à la mondialisation, sans tomber dans le protectionnisme frileux et systématique. Ils veulent un salaire minimum européen qui, progressivement, converge au même niveau pour qu’on n’ait pas, sans arrêt, des délocalisations.
Ils veulent qu’on arrête d’élargir sans cesse pour, finalement, devenir seulement une zone de libre-échange.
Considérez-vous que le non français, parce qu’il est français justement, pénalise la construction européenne ou qu’au contraire, il peut être une chance pour repartir sur des bases correspondant plus aux attentes des peuples ?
V.Létard >> Le non français a eu un impact colossal parce que la France, c’est l’histoire de l’Europe.
Maintenant, c’est à la France de rebondir. Et si on veut plus d’Europe, il faut plus d’Europe intégrée, avant d’élargir encore. Quand on est renforcé, on peut accueillir d’autres, dans de bonnes conditions. Comment le faire si notre seule règle commune, c’est le marché ? Impossible ! Et quand on aura négocié un nouveau traité, il faudra un nouveau référendum, au moment des élections européennes de 2009. On ne peut pas occulter le peuple sur une question où, par référendum, il a dit non.
M.-N.Lienemann >> Non, la France n’est pas affaiblie. Si on avait voté oui, la question qui se poserait aujourd’hui serait le non anglais ou le non néerlandais. C’est une chance historique de repartir sur de bonnes bases. Ce n’est pas gênant de ne pas être à des réunions où il ne se décide rien. On ne peut changer les traités sans l’accord de la France, ni d’ailleurs de la Grande-Bretagne, ni des Néerlandais, ni des Polonais. Si d’autres peuples avaient voté, ils se seraient aussi opposés à ce traité. Il y a une duperie à faire porter à la seule France la responsabilité de blocages qui sont plus profonds. Et que le traité ne pouvait pas lever.
PROPOS RECUEILLIS PAR ERWAN GUÉHO ET FLORENCE TRAULLÉ