Article publié dans Politis le 10 juillet 2008
Le rôle de la gauche est indissociable de sa forme d’organisation. Parti de toute la gauche ou front de gauche ? La question a animé le dernier banquet républicain de Gauche Avenir.
L’affiche était originale. Elle a d’ailleurs attiré plus de deux cents personnes, le 7 juillet, pour un dîner débat dans un restaurant chinois de Belleville. Mais la question, trop simple. En invitant Jean-Luc Mélenchon, président de Pour la République sociale (PRS), Emmanuel Maurel, conseiller régional et membre, comme le sénateur de l’Essonne, du bureau national du PS, Marie-Pierre Vieu, jeune dirigeante du PCF et vice-président de la région Midi-Pyrénées, et Eric Ferrand, conseiller régional MRC, le club Gauche Avenir avait choisi de mêler les tendances et les générations.
Celles-ci ne pouvaient toutefois guère donner toute mesure en s’en tenant au sujet de la soirée. Demander « à quoi servir la gauche aujourd’hui » conduit forcément à des réponses concises. Elle « doit servir à organiser la riposte » à la série d’offensives du capitalisme libéral qui touche toujours les plus faibles, avance Emmanuel Maurel. « A changer la vie », assure Marie-Pierre Vieu. A « s’opposer résolument au sarkozysme », répond Eric Ferrand, qui ne souhaite pas que cette opposition « esquive le projet de gauche ». « Notre rôle est d’introduire dans l’histoire la maîtrise humaine sur les évènements, et nous n’avons pas d’autre outil pour cela que la démocratie », philosophe Jean-Luc Mélenchon, qui précise que face à la radicalité de la crise « on ne réglera rien si on ne commence pas d’abord par dominer et maîtriser les contradictions du capitalisme dans l’objectif de dépasser le capitalisme ». Y renoncer, avertit-il, c’est « renoncer non seulement au socialisme mais même à la République ».
C’est donc sur les moyens d’y parvenir que les échanges ont été les
plus vifs. Quelle organisation des partis politiques ? Faut-il une
nouvelle force ? De quelle nature ? Marie-Pierre Vieu fait part de ses
interrogations. Elle justifie avoir signé l’appel de Politis, « une
tribune qui marque la volonté de faire émerger l’alternative d’une
gauche à vocation majoritaire et de prolonger toutes les expériences »
des luttes de ces dernières années en France, mais aussi celles qui se
sont fait jour à l’étranger, comme Die Linke en Allemagne.
Faut-il aller vers un grand parti de toute la gauche ? Les socialistes
Marie-Noëlle Lienemann et Paul Quilès en avancent l’idée depuis près
d‘un an. Sans faire l’unanimité au sein de Gauche avenir, le club
qu’ils animent. Ce dernier, créé au lendemain de la défaite
présidentielle, sur la base d’un appel de 18 personnalités, élus,
syndicalistes, universitaires ou journalistes, est un club indépendant.
Il est né du refus de l’alliance au centre, présenté alors comme
l’avenir du PS, et de la volonté de reprendre l’offensive idéologique
face à la droite. Il s’est attaché dés l’origine à fédérer des
socialistes, des communistes, des républicains, des Verts, et des
hommes et des femmes d’aucun parti. Et à « proposer aux principaux
courants de la gauche une base idéologique à la fois fidèle à leurs
histoires et moderne vis-à-vis des défis contemporains », qui a pris la
forme, après maints échanges, d’un petit livre, Fiers d’être de gauche,
présenté comme une « contribution pour l’unité de la gauche ».
Mais quelle unité ? Convaincu que les électeurs se reportent sur des «
partis léninistes » chaque fois que la gauche va mal, Eric Ferrand,
conseiller régional MRC, se prononce « pour une fédération qui
rassemble ceux qui veulent gouverner » et refuse tout net d’« aller
vers ceux qui se nourrissent de la désorientation des formations de
gauche ». Marie-Pierre Vieu avertit : « La gauche est plurielle », et
pas plus qu’elle ne pense que le rassemblement de la gauche peut se
faire autour de son parti, elle ne croit qu’il puisse « se faire autour
du seul parti socialiste ». En écho au « débat de fond » rappelé par
Jean-Luc Mélenchon, elle constate « que l’ensemble de la gauche ne
prétend pas dépasser le capitalisme, loin de là ». Avant d’ironiser : «
Peut-on être libéral et de gauche ? ». « La question de l’unité nous
divise », admet Marie-Noëlle Lienemann. Persuadée qu’un Linkspartei à
la française « arrangerait les sociaux-démocrates de droite », qui
savent qu’avec « le système de la présidentielle ils ont entre leurs
mains l’orientation finale » tant que ce « pôle de gauche n’aura pas
les capacités et la force d’être le premier parti de la gauche », elle
juge que le rassemblement de « toutes les forces de gauche dans une
même structure » serait plus efficace pour donner à la gauche un centre
de gravité conforme à l’image du peuple de gauche. Une position qui la
conduit aussi à refuser, pour l’heure, une motion commune de la gauche
du PS au congrès de Reims. Et suscite sur ces deux plans une forte
réplique de Jean-Luc Mélenchon. Le sénateur de l’Essonne « adjure la
gauche du PS de se rassembler » pour tenter d’obtenir que le PS rompe
avec « la ligne démocrate » qui aboutit à « casser la gauche ». Et « si
le congrès du PS n’aboutit qu’à un replâtrage de plus qui ne tranche
rien, nous devons avoir comme proposition la constitution d’un front de
gauche, d’un nouveau front populaire », lance-t-il. Car « le but de
l’unité, c’est de rassembler le peuple » sur un programme qui soit un
drapeau. Et de conclure, lyrique, que « lorsque l’inacceptable
s’avance, la seule réponse, c’est "non" ».
Dans une ultime tentative de conciliation, Emmanuel Maurel assure que «
le PS n’est pas au point du SPD » allemand. Selon lui, « la question ne
se pose pas encore, aujourd’hui ». Mais demain…
Michel Soudais