Hier à l’initiative du club Gauche Avenir, s’est tenu un colloque passionnant sur la Laïcité. Et il ne s’agissait pas de ressasser l’histoire, même si elle éclaire le présent. Ce qui m’a frappé c’est l’actualité de l’enjeu, l’urgence d’un réveil des consciences et la nécessité pour la Gauche et les Républicains d’engager de nouvelles mobilisations. Ce qui est apparu, en premier lieu clairement, est la rapidité avec l’actuel gouvernement sape avec méthode, et parfois efficacité, les fondements laïques de notre République.
Nicolas Sarkozy a engagé une offensive idéologique contre la Laïcité. On se souvient du triste discours de Latran ou encore de ses écrits : «Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en rapproche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.». Encore que sur ce dernier point, il faut être prudent ; car la radicalité du sacrifice de la vie prend d’étranges formes lorsque ce sont des terroristes kamikazes qui prétendent incarner cette « vertu ». Oublié Guy Môquet, athée qui ne manquait ni d’espérance, ni du sens du sacrifice. Oubliée l’égalité des citoyens quelques soient leurs convictions ou engagements religieux, oubliés les beaux vers de Louis Aragon dans « la rose et le réséda » : « ceux qui croyaient au ciel, et ceux qui n’y croyaient pas, éclairés par la même lumière ». Oublié Jean Jaurès qui parle si bien du courage de ceux qui se donnent «aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense».
Nous devons dénoncer, sur le fond, en défendant tant sur les principes que sur leur application une idée qui a constitué et constitue toujours un immense progrès pour notre société.
Nicolas Sarkozy avait parlé de rupture. S’il est un terrain où il l’a engagé, c’est bien pour remettre en cause notre laïcité
En face, la gauche doit réaffirmer et défendre les trois principes qui fondent la laïcité :
-la liberté de conscience (la croyance religieuse ne doit engager que le croyant, libre de s’exprimer dans l’espace public, mais qui ne doit pas avoir de pouvoir sur l’espace public. La liberté de conscience n’est ni l’athéisme officiel, ni un privilège à la religion)
-un strict principe d’égalité: ni plus aux croyants, ni plus aux non croyants, l’option spirituelle n’est pas réductible à la religion ; Il n’y a pas de fraternité, de vivre ensemble réussi sans ce principe.
-la finalité universelle de la puissance publique. Il s’agit de reconnaitre et de donner les moyens à la puissance publique de répondre aux besoins de tous, sans discriminations, sans ségrégations et de promouvoir l’espace public commun, ce qui unit les hommes et non ce qui les sépare. Les services publics sont, de ce point de vue, déterminants. La laïcité prend en compte la totalité et l’unité de la population (on y retrouve ses racines, laos en grec).
Nous avions déjà publié, avec André Laignel et Paul Quiles, une tribune en février 2008, dans le journal Libération dénonçant Nicolas Sarkozy et ses dérives intitulées : « César et pape à la fois ! ». Nous y dénoncions les risques de voir inscrit dans le préambule de la constitution le principe de la discrimination positive pour rendre en compte la « diversité »… Nous refusions aussi la reconnaissance des représentants des cultes en tant que tels au sein du Conseil Economique Social et Environnemental ! Il a renoncé à ce dernier point ; mais pour le reste, les actions demeurent imprégnées de la même ligne politique.
Et là on retrouve des questions d’actualité en particulier l’une des plus essentielles : l’école.
D’abord, la première constatation : la réduction massive inacceptable et dramatique des moyens de l’éducation nationale constitue une hémorragie extrêmement lourde de conséquence pour nos enfants aujourd’hui, pour notre pays et pour notre avenir. Plus de dix mille postes supprimés. On nous dit que l’Etat manque de ressources ! Alors comment concevoir que l’Etat soit assez riche pour payer des privilèges à l’école privée, mais trop pauvre pour financer l’intérêt public et son école. Et qu’on arrête ces foutaises sur le fait que le nombre d’élèves par classe, donc le nombre d’enseignants, n’est pas un impératif pour la réussite scolaire ? En effet, pour des bons élèves, ce n’est pas indispensable. En revanche, pour les plus en difficultés, qu’elles soient sociales ou scolaires, c’est vital ! Cela ne suffit pas, mais c’est un préalable indispensable ! Fadela Amara a atteint le comble du scandale en annonçant dans son plan « espoir banlieue », la création de 5000 postes pour ouvrir des classes dans les écoles privées en banlieue ! Tout cela dans une sorte d’indifférence générale et d’une atonie collective des laïques. Non seulement, l’Etat financerait des écoles privées, mais prétend en promouvoir la création. C’est un comble !!!!
Reste que la dégradation de l’Education Nationale n’est pas fortuite. Elle s’inscrit dans une vision, défendue par la droite depuis longtemps, j’allais dire depuis toujours, à savoir l’ouverture à la concurrence de l’école ! Concurrence avec le privé marchand, concurrence avec le privé confessionnel. Hier, l’argument était la liberté et le primat éducatif des parents, aujourd’hui c’est la pression concurrentielle sensée améliorer le service rendu. Là on retrouve la convergence entre la droite confessionnelle et la droite libérale. Supprimer des moyens à l’école publique, c’est l’affaiblir et donner des armes et des « arguments au privé ». C’est pénaliser les plus faibles et le plus grand nombre !
Mais les atteintes à la laïcité ne sont pas seulement matérielles, elles sont aussi juridiques : depuis quelques temps se multiplient des lois, des décrets et décisions qui défont la laïcité : Les accords entre le Vatican et Bernard Kouchner qui donne à cet état et à l’enseignement catholique le droit de délivrer des diplômes, ce qui depuis des siècles fut réserver à l’Etat et à l’université !
La loi Carle oblige les communes à financer les écoles privées qui sont hors leur territoire, pour les enfants qui la fréquentent. Ces dispositions aggravent la loi Debré du 31 décembre 1959, pourtant très contestable, qui met à la charge de la commune les dépenses de fonctionnement des écoles privées sous contrat avec l’État implantées sur son territoire, et elles seules. La loi Carle, crée de nouvelles obligations, ici l’usager se voit attribuer le droit, sans accord préalable, d’imposer le financement de sa scolarité dans toutes les écoles privées hors de sa commune de résidence. Jusqu’à ce jour, le dispositif législatif établissait un rapport institutionnel fort entre l’École et la Commune.
Aujourd’hui, on introduit une relation marchande usager-Commune avec un chèque éducation utilisable hors commune.
On retrouve là encore les propositions concoctées dans les Think-tank de droites dans les années 70 ,80 qui prônait la privatisation de l’école. D’ailleurs Madame Emmanuelle Mignon, qui fut directrice adjointe de cabinet de Nicolas Sarkozy et rédactrice du programme de l’UMP, a toujours, pour sa part dit qu’elle était favorable à cette privatisation !! Il faut se souvenir que dans ces cercles de réflexion se trouvaient Xavier Darcos et des membres de l’establishment actuel de L’Education Nationale, comme M Bourgeois ! On aurait pu aussi parler des jardins d’éveil pour les plus petits que l’enseignement catholique a le droit d’ouvrir , en concurrence avec nos maternelles !!Mais je veux terminer sur la formation des enseignants qui est désormais totalement banalisée. Les accords Lang-Cloupet en 1992, ont déjà ouvert la brèche instaurant la stricte parité et reconnaissant : « le droit et la reconnaissance de la contribution de l’enseignement privé au système éducatif ". Il est désormais « associé » à l’Etat, jusqu’alors, la seule reconnaissance de la puissance publique visait les établissements !
Mais nous devons condamner et nous opposer de toutes nos forces à la suppression des IUFM et en tout cas, nous engager, dés le retour de la gauche au pouvoir, à restaurer une voie spécifique de formation des enseignants. Plus généralement le temps est venu de reprendre le combat laïque. C’est un combat qui peut et doit unir la gauche. Le manifeste approuvé lors du colloque de Gauche Avenir peut servir de plateforme à cette reconquête ! Cela suppose aussi que la gauche cesse ses reculs répétés face à l’offensive anti-laïque !