La lecture des articles concernant la montée de marine Le Pen dans le dernier numéro du Nouvel Observateur m’a laissé sans voix et avec une étrange impression de facilité et d’intolérance. Voici revenu le temps des listes, la liste des proscrits, qui seraient coupables d’avoir préparé l’humus idéologique dans lequel viendrait s’épanouir les thèses de Marine Le Pen et entretenir sa progression politique. Pour ma part, je redoute, au plus haut point, ces étranges méthodes où l’intolérance, les amalgames et les dénonciations prennent le pas sur l’analyse argumentée, la confrontation indispensable et le débat au fond. Si pour ma part, je n’ai cessé d’écrire que la montée du Front Nationale était, de longue date, prévisible et que ce parti ne disparaitrait pas d’un coup et moins encore sans des changements économiques, sociaux et politiques radicaux. Je pense que rien ne serait plus grave que se dispenser, tous autant que nous sommes, de remises en cause sérieuses qui ne peuvent s’opérer qu’avec un débat rationnel, charpenté, sans complaisance, sans facilité de formules et redonnant aux mots, aux choix politiques un sens et à l’action une efficacité concrète pour les citoyens et des effets perceptibles inscrits dans le long terme. En tout cas, je me méfie et me méfierai toujours, des procès en sorcellerie, des excommunications ou autre procès qui de surcroit ne donnent pas la parole à la défense. D’où ce coup de gueule !
Il se trouve que je lis régulièrement Marianne, Marianne2 comme d’ailleurs beaucoup d’autres journaux et que je connais bien Philippe Cohen. Il n’a absolument rien à voir, mais rien du tout, avec Marine le Pen et son idéologie. Il est Républicain or Marine Le Pen ne l’est pas. Et justement il convient de ne pas la laisser abuser nos concitoyens. La République c’est l’égalité, c’est le droit du sol, le refus des différenciations ethniques ou autres, c’est l’universalité des droits de la personne humaine etc. Tous concepts opposés aux thèses du FN. Philippe Cohen est souverainiste, nous dit-on, bien qu’il ne se soit jamais lui-même revendiqué de ce concept et de ce qualificatif. Et, ce serait déjà un pas vers le FN. Alors précisons. N’y a-t-il pas une question majeure de souveraineté populaire dans l’Europe d’aujourd’hui ? Dans la mondialisation actuelle ? N’y a-t-il pas de question de souveraineté dans le champ économique quand les agences de notation décident, tel César avec son pouce dans l’arène, du sort d’un pays, de son peuple, quand les multinationales sont plus puissantes que les états ? Si nous nions cette question ou suspectons de je ne sais quelles dérives fascisantes ou nationalistes ceux qui n’acceptent pas cette situation, alors nous passons à côté d’une des questions majeures qui exigent des réponses si l’on veut faire reculer Marine le Pen. Je ne suis sans doute pas d’accord avec l’ensemble des solutions de Philippe Cohen mais tracer une sorte de cordon sanitaire pour le ranger dans l’autre bord, sur la rive infréquentable, n’est pas acceptable.
J’ai l’impression de revivre, en plus sournois et sans doute plus dangereux, ce que j’ai vécu lors du vote sur le projet de traité constitutionnel européen, où lorsque nous appelions à voter contre ce texte nous étions, à longueur d’articles, mis au ban, suspects de nationalisme, d’europhobie ou encore de xénophobie anti polonaise ! C’était moins dangereux car, à part pour quelques personnes, les attaques n’étaient pas ad hominem. Et encore, c'est àvoir. A vrai dire, je ne m’en suis jamais réellement émue, convaincue que notre peuple voterait NON. Ensuite,Il ne fallait pas être grand clerc pour mesurer que faire passer le traité de Lisbonne qui ressemble comme deux gouttes d’eau à feue la constitution, sans consulter à nouveau les citoyens (et pour cause !) poserait, ipso facto, une crise de souveraineté. La double page d’Ariane Chemin explique par le menu comment une sorte de complot souverainiste aurait réuni, il y a quelques années, des intellectuels, journalistes de gauche et de droite "souverainistes" au sein de la fondation Marc Bloch pour faire face à la fondation saint Simon et s’émeut de ces rapprochements quasiment contre nature. J’apprécie cette soudaine affection pour l’importance du clivage gauche droite. Il n’a jamais fait pour moi aucun doute et je suis persuadée que l’affaiblissement de l’alternative et de l’affrontement idéologique entre ces deux camps constitue une des raisons de la montée du FN. Mais j’aimerais la même vigilance s’agissant des confusions, collusions multiples entre une partie de la gauche et la droite libérale. Que dire des estrades communes entre certains socialistes et l’UMP ou l’UDF d’hier pour défendre les traités européens, des Clubs où des anciens ministres de gauche et de droite concoctaient ces politiques dont on nous dit qu’elles sont incontournables, ou encore des satisfécits du Nouvel Observateur sur l’ouverture opérée par Nicolas Sarkozy, sur Kouchner. J’en passe, ne remuons pas le couteau dans la plaie. Ne parlons pas non plus des odes si fréquentes aux vertus du centre, « ni gauche, ni droite »
je trouve au passage un peu étrange cet amalgame à peine voilé -juste esquissé il est vrai- entre une partie de ces journalistes « suspects» et Jean-Pierre Chevènement dont contrairement à Ariane chemin j’apprécie au plus haut point le dernier livre (là aussi nul n’est obligé d’être en accord avec tout ce qu’il dit et c’est mon cas sur certains sujets) et qui témoigne d’une hauteur de vue qu’on aimerait trouver chez d’autres responsables politiques. Si leurs analyses et leurs propositions étaient aussi solides, même avec d’autres conceptions, le débat politique en sortirait grandi. Et c’est bien là où le bât blesse. Nous avons besoin d’un débat qui nous sorte des incantations moralisatrices- je ne suis pas exempte moi-même de ce genre de tropisme-, qui aille au fond de ce qui installe, depuis 30 ans bientôt, le FN à un haut niveau et qui lui permet de prospérer.
Au passage je note dans l’article de Laurent Joffrain dont j’approuve la conclusion (le problème de la gauche c’est le peuple) qu’il utilise des termes qui, de mon point de vue, sont trompeurs. Il parle de l’inquiétude devant les effets de la mondialisation, l’angoisse suscitée par la brutalité des marchés……. Non ce ne sont pas des peurs mais des faits, bon nombre de salariés sont écrasés par la mondialisation et la désindustrialisation, la brutalité des marchés (sont-ils souvent doux ?) percute tous les jours leur quotidien. Ils n’ont pas peur. Ils refusent ! Et si nous n’apportons aucune alternative, ils continueront à s’égarer dans la redoutable illusion de l’extrême droite. Cette erreur a déjà été commise sur l’insécurité ne la renouvelons pas sur l’économie et le social.
J’espère que les journalistes du Nouvel Observateur retiendront quelques leçons de l’évolution d’un de leur ancien chroniqueur Jacques Julliard et poursuivront ce débat sur les conditions d’un recul de Marine le Pen, de façon pluraliste, étayée, n’oubliant pas l’histoire. La gauche divisée en Allemagne a permis, dans les années 30, l’arrivée des nazis au pouvoir. La gauche unie en France (pas l’union nationale) avec le front populaire a réalisé de grands progrès sociaux. Certes, tout n’a pas été parfait, certes la débâcle militaire a ouvert une période parmi les plus sombres de notre histoire. Mais une chose est certaine, pour faire reculer Marine le Pen, reconquérir le peuple, il faut une gauche rassemblée, nos valeurs républicaines et sociales réaffirmées, un programme ambitieux portant une alternative et de nouveau progrès sociaux.