Le scénario ne convainc plus grand monde, si ce n’est la bourse. Mais pour combien de temps ?
Avec le dernier sommet européen, on a eu droit au remake d’un feuilleton assez désolant décor. Premier acte : le psychodrame sur l’éclatement de l’UE et de l’Euro sur fond de dettes souveraines. Il y a deux ans, c’était à cause de la crise bancaire. Deuxième acte : on fait monter la pression et enfin, au dernier moment, on annonce le sauvetage de l’Europe et de la monnaie unique. Ouf !!!
Le même ouf de soulagement avait été lâché, il a quelques mois, lorsque les mêmes dirigeants européens annonçaient avoir réglé la dette grecque. On sait ce qu’il en est finalement advenu.
Derrière ces mises en scène, se profile une réalité plus redoutable : de colmatages en colmatages, l’Europe s’enfonce, les peuples de notre continents paient un lourd tribut à ces errements persistants, la démocratie est fragilisée et la volonté d’union s’effrite.
Ce n’est pas faute d’avoir annoncé les graves conséquences des politiques menées et des dogmes sur le libre-échange généralisé, la concurrence «non faussée », la libre circulation des capitaux, la dérégulation , l’indépendance de la BCE chargée essentiellement de lutter contre l’inflation, l'Euro fort, la dérégulation sociale et fiscale… Les français avaient dit non à la poursuite de ces dérives, en refusant d’approuver le traité constitutionnel et Nicolas Sarkozy s’est purement et simplement assis sur ce vote pour approuver l’absurde traité de Lisbonne. Son argument : en l’élisant les français auraient renié leur vote précédent ! Hélas, quelle occasion manquée. Le refus du projet de traité constitutionnel ouvrait une opportunité pour la France de réorienter la construction européenne et de proposer à ses partenaires une renégociation du cadre européen sur des bases politiques, sociales, démocratiques tournant le dos à l’ultra libéralisme, à la financiarisation de l’économie, à l’obsession monétariste, au dumping social et environnemental et à l’absence de politiques industrielles communes. Ainsi, l’impasse était devenue prévisible, elle n’était pourtant pas inéluctable.
Mais rien n’est définitivement écrit. 2012 doit être l’année d’un changement radical de cap !
Certes devant la crise, les dirigeants des 27 pays, ont fini, le plus souvent contraints et forcés par les évènements, par prendre des mesures contraires aux traités, en guise de colmatage. Rien à voir avec ce qui est nécessaire à savoir un changement de paradigme.
Force est de constater que les décisions prise lors du dernier sommet constituent au contraire un entêtement dans les errements récurrents de l’UE :
1 Une plongée accrue dans la mondialisation financière
2 Le refus d’assumer la solidarité européenne et la recherche de l’indépendance de l’UE
3 L’Allemagne impose ses vues, pas seulement au regard de sa situation économique, mais grâce au pouvoir particulier de son parlement dans les décisions européennes
4 L’acceptation de l’austérité pour les peuples, les salariés et les plus démunis et aucunes décisions fiscales redistribuant les richesses. Le refus d’une stratégie coordonnée de croissance, de politiques industrielles communes.
5 Un manque dramatique de vision de long terme, de volontarisme et un raccourcissement du champ de vision des politiques.
Reprenons plus en détail ces critiques
2 le refus d’assumer la solidarité européenne et de rechercher l’indépendance de l’UE. Devenue d’abord une zone de libre-échange, l’Europe n’a depuis des lustres créé aucune solidarité entre les peuples qu’elle met en concurrence. Les politiques communes et les budgets ou mécanismes de redistribution datent au mieux des années 80, depuis c’est le « marché unique » et une monnaie unique sans pilotage politique, avec l’arrivée des pays de l’est accroissant les écarts et renforçant les dumpings sociaux et fiscaux au sein même de l’UE ! La crise aurait pu amener les dirigeants européens à rompre avec cette logique destructrice. En réalité la solidarité nait rarement facilement en période de disette, surtout lorsqu’elle n’est pas portée par une espérance commune et crédible de progrès partagé. Il aurait fallu beaucoup de courage de la part des leaders, mais au contraire, ils persistent et signent, refusant de trouver une solution commune à la dette grecque, et aux menaces qui se profilent sur les autres états (sans que quiconque ne puisse d’ailleurs à ce jour dire quels pourraient être les pays finalement épargnés) ! La seule « pseudo avancée « vers un gouvernement économique » de l’euro est l’obligation d’inscrire la règle d’or dans les constitutions et de mettre sous surveillance les budgets. Il n’y aura pas de gouvernement économique sans un accord global, économique, fiscal, social et politique et sans une perspective prometteuse pour l’ensemble des peuples, sinon cela sera le retour au pilotage national. Un gouvernement économique, gardien du temple de la seule orthodoxie budgétaire et de l’austérité, est mort-né d’avance !
Il y a quelques exigences de bases que la gauche doit fixer et promouvoir dans nos 27 pays : Pas d’avancées monétaires, économiques, sans conditions d’avancées sociales (principe des convergences sociales progressives vers le haut et la clause du pays le plus avantagé).Pas de soutien direct ou indirect aux opérateurs financiers sans une reprise de contrôle par la puissance publique, la taxation des transactions financières, des mesures de lutte contre les évasions et dumpings fiscaux. Retour aux principes du traité de Rome sur la préférence communautaire et en tout cas mis en place des clauses de justes échanges aux frontières de l’UE.
On voit bien que rien de tout cela n’est engagé et qu’au contraire, la logique d’aujourd’hui est celle d’hier : une plongée sans filet et tête baissée dans la globalisation financière et la mondialisation libérale, tout cela sur fond de culpabilisation des peuples et d’affrontements nationaux cachés sous un vernis européen de moins en moins résistant.
3 L’Allemagne impose ses vues, pas seulement au regard de sa situation économique, mais grâce au pouvoir particulier de son parlement dans les décisions européennes.
L’Allemagne est présentée comme le bon élève et devrait ainsi, au regard de sa situation économique (qui mérite d’être pour une part relativisée), naturellement fixer le cap et ses conditions ! C’est pour le moins une étrange conception de la démocratie. Le pouvoir serait au pro rata de sa richesse ! Cette Europe politique là n’est pas supportable.
Elle ne le sera pas, d’autant qu’une large part du « miracle » allemand s’est réalisé par des gains de part de marché dans l’UE à travers des réductions salariales et de la sous-traitance dans les pays de l’est, la limitation de sa demande intérieure, pourtant historiquement favorable aux importations des autres pays. L’Allemagne a joué cavalier seul et compte bien poursuivre dans cette voie.
Doit-on la laisser faire avec la naïveté qui a prévalue jusqu’à ce jour ? En aucune façon. Seul un rapport de force politique peut modifier la donne et on le voit bien avec la question du financement et de l’usage du fond de stabilité financière. La chancelière allemande a eu beau jeu d’imposer le recours à des financements internationaux en prétextant que le Bundestag n’accepterait pas de modifier la structure du fond si l’Allemagne devait y ajouter de l’argent. Le président français, n’avait pas cette arme car il peut décider sans vote des assemblées. Ce qui au passage, lui permet de s’asseoir sur la volonté du peuple ! Il est urgentissime de doter le parlement français des mêmes prérogatives que celui d’Allemagne, s’agissant des décisions européennes. La dissymétrie actuelle est un atout au profit de l’Allemagne et crée un déséquilibre inacceptable. Les compromis seraient à coup sûr d’une autre nature si la France pouvait publiquement, elle aussi, mettre ses conditions sur la table !
A ceux qui verront un recul du fédéralisme dans une telle démarche, je réponds qu’il va de soi que si l’Allemagne abandonnait ces prérogatives affirmées par la cour constitutionnelle de Karlsruhe, la France devrait à l’évidence, alors, faire de même. L’équilibre des forces est toujours préférable !
4 L’acceptation de l’austérité pour les peuples, les salariés et les plus démunis et aucunes décisions fiscales redistribuant les richesses. Le refus d’une stratégie coordonnée de croissance, de politiques industrielles communes.
Le soutien du pouvoir d’achat des européens serait un formidable levier de croissance car plus de 70% des échanges de nos pays se font au sein de l’UE ! Des politiques industrielles coordonnées avec des grands projets par exemple dans les énergies renouvelables, la transition énergétique, les infrastructures de communications, les médicaments, la chimie verte. Les champs sont nombreux et devraient associer les grandes entreprises et les PME, la recherche, le développement et l’industrialisation. Des ressources existent au sein de l’UE, l’une des régions les plus riches du monde avec l’objectif de mieux taxer le capital, la finance, pour favoriser des politiques salariales. Pour le financement des projets, l’idée d’un grand emprunt auprès des européens demeure intéressant, mais aussi pourquoi pas de nouveaux traités thématiques comme cela fut le cas sur le charbon et l’acier, avec un contenu qui instaure des garanties sociales aux salariées et pourraient justement ajuster les conditions du juste échange dans ce secteur spécifique. Une telle démarche, on le voit rompt avec l’ultra libéralisme. Mais à défaut de généraliser une telle démarche pourquoi ne pas commencer au moins sur une filière.
Sans recettes nouvelles pour les Etats à travers une fiscalité juste, sans de nouvelles politiques sociales adossées à un regain de compétitivité industrielle et de reconquête du marché intérieur, sans initiative de croissance, nous ne règleront pas le problème des dettes souveraines. Encore faut-il bien prendre en compte non seulement l’endettement public, mais aussi l’endettement prive qui dans certains pays où l’Etat s’est désengagé est particulièrement élevé !
5 Un manque dramatique de vision de long terme, de volontarisme et un raccourcissement du champ de vision des politiques.
Alors que nous vivons une crise systémique qui mêle de très nombreuses dimensions économiques, sociales, géostratégiques, écologiques et politiques ; nos dirigeants qui ne peuvent ignorer que les craquements d’aujourd’hui vont se prolonger, comme il ne pouvait imaginer que la Grèce pourrait rembourser ses dettes dans les conditions intenables où elle était mise refusent de proposer un électrochoc, un sursaut des Etats de l’union européenne et de l’UE pour reprendre la main sur le système financier et bancaire, faire reculer la financiarisation et mobiliser l’économie réelle. Ils réagissent a postériori, toujours trop tard, souvent insuffisamment et sans tenter de porter une vision alternative de l’avenir. A vrai dire, l’actuelle majorité de droite des différents pays n’est probablement pas en mesure de porter une alternative. C’est la grande responsabilité historique de la gauche d’y parvenir, d’assurer sa victoire en 2012 en France, en 2013 en Allemagne et ailleurs mais surtout d’afficher avec audace des transformations radicales des principes de la construction européenne.