Le 29 Novembre, en séance publique, Marie-Noëlle Lienemann intervient au nom du groupe socialiste sur la MISSION VILLE ET LOGEMENT du PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2011
"Mes chers collègues, nous serions en droit d'attendre que le logement soit une priorité nationale et que le budget consacré à cette question constitue, aujourd'hui, un outil de relance de la croissance et de l'emploi.
Hélas, tel n'est pas le cas ! Nous déplorons même l'inverse, car ce budget est particulièrement mauvais pour la Nation, au regard des besoins de nos concitoyens. Fait significatif, il prolonge de grandes dérives que nous observons depuis plusieurs années et dont nous percevons désormais toute la logique !
Première étape du processus, les aides publiques directes disparaissent peu à peu du budget du logement, notamment pour ce qui concerne l'aide à la pierre. En conséquence, le Gouvernement affirme qu'il va fiscaliser l'ensemble de l'intervention publique dans le champ du logement. Toutefois, en réalité, cette fiscalité est bien moins destinée à répondre aux besoins de nos concitoyens qu'à accorder des cadeaux fiscaux, dont on découvre, après coup, qu'ils sont particulièrement injustes et inopérants pour la politique du logement.
Résultat des courses : on supprime ces cadeaux fiscaux ! Néanmoins, les fonds ne reviennent pas à la politique du logement ; aucun moyen supplémentaire n'est attribué pour corriger les erreurs du passé, ni pour étendre et rénover le parc immobilier, et, partant, répondre aux besoins de nos concitoyens.
Cette logique suit son cours ; elle constitue un handicap majeur pour la Nation.
Monsieur le secrétaire d'État, ce budget ne répond à aucun des grands besoins qu'éprouve ce pays en matière de logement. Or nous sommes placés dans une situation d'urgence.
Urgence sociale, tout d'abord : les orateurs précédents l'ont souligné. Je ne rappellerai pas les chiffres qu'ils ont détaillés, traduisant les problèmes du mal-logement et de l'insalubrité.
Urgence sociale, parce que, au-delà des couches les plus modestes de la population, la très grande majorité des Français voient désormais leur dépenses de logement exploser, plombant leur pouvoir d'achat ! En effet, les prix de l'immobilier et des loyers subissent une augmentation tout à fait considérable par rapport à l'évolution des revenus de nos concitoyens.
Urgence républicaine, ensuite : de fait, comment justifier qu'un pays riche comme le nôtre soit incapable de garantir à sa jeunesse le droit de s'installer décemment, le droit au logement ? Comment justifier que des lois soient votées, proclamant notamment le droit au logement opposable, et que, quelques années plus tard, la situation, loin de s'être améliorée, se soit fortement dégradée ?
Urgence républicaine, également, parce que la politique de renouvellement urbain n'a pas suffi à briser les logiques de ghettoïsation et de marginalisation. Les exigences de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain, ou loi SRU, ne sont pas respectées !
Urgence républicaine, encore, car si nous échouons à honorer cette promesse et à garantir les droits fondamentaux de chacun, qui croira aux valeurs de notre République ?
Urgence écologique, de surcroît, car l'effet de serre est intimement lié à la production de CO2 et au gaspillage énergétique au sein du parc immobilier dont nous disposons aujourd'hui. Sa rénovation serait une fantastique occasion de créer des emplois, tout en réduisant les charges de nos concitoyens !
Urgence économique, enfin, car le secteur du bâtiment, tant chez les artisans que dans les grandes entreprises, crée des emplois qu'il est impossible de délocaliser et qui sont vecteurs des technologies d'avenir ; de fait, les modes de construction se modernisent via de nouveaux procédés.
Mes chers collègues, le budget du logement devrait être au rendez-vous de ces impératifs, mais tel n'est pas le cas. À ce titre, l'urgence sociale s'aggrave de plus en plus, je le répète : oui, le logement coûte trop cher ; le logement social est trop rare, le logement abordable fait cruellement défaut dans notre pays. Rien ne s'est amélioré en la matière. Au contraire, la situation s'est dégradée !
Monsieur le secrétaire d'État, je suis frappée par l'augmentation considérable des prix des loyers comme des ventes immobilières. Or cette évolution est intrinsèquement liée aux politiques fiscales que vous avez menées pour « doper » le marché du logement, alors même qu'il aurait fallu réguler les prix. Il s'agit non pas d'encadrer toutes les transactions, certes, mais de prévenir les dérapages financiers et l'apparition de bulles.
Le dispositif Scellier, après le Robien, après le Borloo, coûte extrêmement cher à la Nation..
Il suffit de citer l'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques, qui n'est pas connu pour ses penchants de gauche : le dispositif Scellier a coûté 120 millions d'euros à l'État en 2010, contre 300 millions d'euros en 2011. Au total, sur neuf ans, les logements acquis dans ce cadre en 2009 coûteront 3,4 milliards d'euros, contre 3,9 et 2 milliards d'euros pour ceux qui ont été acquis respectivement en 2010 et 2011 ; ce ne sont pas de petites sommes ! Du reste, l'OFCE considère que ces montants sont sous-évalués, notamment pour l'année 2011.
En outre, à titre de comparaison, la subvention en faveur des organismes de logement social s'élevait à 1,45 milliard d'euros en 2010, contribuant ainsi au financement de 147 000 logements sociaux. Si les logements Scellier et sociaux ne sont ni totalement comparables ni interchangeables, le parallèle tracé entre le coût budgétaire des premiers et celui des seconds interroge la politique du logement, mais aussi le financement de cette dernière.
L'OFCE l'a souligné : le dispositif Scellier ruine le pays et hypothèque son avenir.
Monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement dénonce l'endettement du pays, mais il a largement contribué à l'aggraver par le biais de telles mesures, sans répondre aux besoins de la majorité de nos concitoyens ! Vous devez assumer votre part de responsabilité dans l'augmentation des prix de l'immobilier et des loyers.
Les déductions d'intérêts d'emprunt constituent un autre exemple. La mise en œuvre de ce dispositif – grande proposition du candidat Sarkozy – a coûté plus de 3 milliards d'euros à la France ! Encore avons-nous évité le pire, à savoir les hypothèques rechargeables : la crise des subprimes a fort heureusement échaudé les volontés libérales.
Monsieur le secrétaire d'État, vous vantez la « France des propriétaires », mais les couches populaires accèdent de plus en plus difficilement à la propriété de leur logement : parmi les ménages qui perçoivent moins de trois SMIC, notre pays compte 100 000 accédants en moins par rapport aux années deux mille. Cette déduction des intérêts d'emprunts a donc largement contribué à la hausse des prix !
Contraint de constater que ces dispositifs n'avaient pas la moindre efficacité pour soutenir l'accession à la propriété, le Gouvernement a créé les prêts à taux zéro, les PTZ : ce faisant, le budget du logement a perdu plus d'1 milliard d'euros. Mais qui bénéficie des PTZ universel ? Les neuvième et dixième déciles de la population !
Ce dispositif coûte trop cher : le Gouvernement le rabote, y compris pour le logement ancien. Résultat des courses : non seulement les couches populaires n'accèdent pas davantage à la propriété, mais les crédits attribués au logement sont massivement réduits. Cette logique est pour le moins désastreuse.
Je le répète, ces dispositifs ont eu pour effet de faire grimper les prix. Plus grave encore, vous avez corrélativement réduit les aides à la pierre de façon massive, alors que nous avions besoin de construire et de rénover des logements sociaux.
Il est scandaleux d'assécher les crédits du 1 % logement pour financer l'ANAH et l'ANRU ! Il est peut-être légitime que le 1 % contribue au financement de ces agences, mais certainement pas qu'il les finance en totalité. Du reste, le 1% logement, transformé en subventions, risque d'être à terme asséché.
En outre, je vous rappelle que la moitié à peine du programme de l'ANRU est financée. Les membres du Conseil économique, social et environnemental ont estimé à l'unanimité qu'il faillait dégager plus d'un milliard d'euros par an pour boucler le programme ANRU 1 et engager le programme ANRU 2. Dans le même temps, ils ont souhaité que nous dotions cet organisme de ressources propres, car c'est la seule façon d'assurer la pérennité de son financement.
À propos de la diminution des aides à la pierre, j'entends déjà la réponse fuser : mais qu'a donc fait la gauche en matière de construction de logement social ?
Il faut replacer les chiffres dans leur contexte. Entre 2000 et 2002, le prêt locatif social commençait tout juste à produire ses effets et nous n'avions pas encore créé la Foncière.
Une fois effectué le bilan des constructions, des démolitions et des ventes de logements, on constatait en moyenne un accroissement net du parc HLM de 32 000 à 34 000 logements par an sous la gauche. Dix ans plus tard, vous avez porté ce chiffre à 40 000… Il y a donc eu mille logements de plus par an. Quel progrès ! Franchement, il n'y a pas de quoi pavoiser.
Par ailleurs, vous oubliez d'inclure dans vos calculs les 19 000 logements qui servent d'hébergement d'urgence et qui, avant 2004, n'étaient pas comptabilisés comme logements sociaux. Je vous mets donc au défi de prouver que vous avez construit plus de 10 000 logements PLUS-PLAI – ceux dont nos concitoyens ont le plus besoin – depuis 2002.
Entre les chiffres annoncés et la réalité sur le terrain, il y a un gouffre !
Pour autant, je le confesse volontiers, quels qu'aient été les gouvernements, la Nation n'a pas suffisamment investi dans le logement, et cela depuis des années. Nous lui consacrions 2 % du PIB au début des années deux mille ; nous sommes tombés aujourd'hui, alors que le niveau du PIB n'est pas mirifique, à 1,7 %.
Nous devons répondre à l'urgence sociale et relancer la croissance en investissant massivement dans le logement. Nous aurions aimé que le Gouvernement relève ce défi. Il ne l'a pas fait ; nous voterons contre ce budget !