Il y a plus d’un an, je faisais des propositions dans l’ouvrage que j’ai publié chez Jean-Claude Gasewitch « Le scandale du logement ». Elus, acteurs du monde HLM ou du logement, citoyens, nous sommes tous concernés !
« Le scandale du logement » (extraits)
Le droit au logement opposable dans la
constitution
Non seulement, l’affirmation, dans nos textes juridiques, d’un droit effectif au logement est une question de principe : il est temps en ce début de 21 éme siècle de reconnaître ce droit au premier rang des droits de l’homme. Mais c’est aussi plus prosaïquement nécessaire à l’action. Alors il y a deux démarches simultanées à entreprendre. La première vise à consolider le statut juridique du droit au logement, finalement introduit récemment dans nos lois et le rendre opposable. Toute personne qui se trouve sans logement où dans des conditions graves de mal logement et qui ayant entrepris les démarches nécessaires sans pouvoir régler son problème, doit alors être en mesure de se retourner vers la puissance publique qui doit lui garantir ce droit au logement. Une telle évolution de notre droit serait une véritable révolution car il instaurerait dans les droits fondamentaux non seulement une obligation de moyens mais de résultats. C’est plus de 200 ans après la révolution française certainement une évolution indispensable. On l’a d’ailleurs en partie réussi dans notre pays avec la santé. Mais là l’affaire est complexe puisqu’il ne s’agit pas seulement d’avoir accès à un service mais à un bien.
Avec la décentralisation, plus encore que par
le passé, les collectivités locales sont davantage maîtresses du jeu. Elles
peuvent bloquer la mise en œuvre de politiques nationales et indispensables à
la solidarité collective. On le voit lorsque certaines d’entre elles refusent
ou trouvent toutes les arguties juridiques pour ne pas réaliser de logements
sociaux sur le territoire de leur commune. Parfois aussi l’Etat ne dégage pas
les moyens financiers suffisants pour accompagner celles qui veulent faire. Et
cela crée ainsi une sorte de déresponsabilisation face à des citoyens bien en
mal de faire entendre leur voix et surtout de voir régler leur problème. D’un
côté l’Etat et la loi doivent fixer des obligations aux collectivités locales
afin qu’elles s’engagent des actions indispensables à l’intérêt général .Mais
de l’autre, l’idée de l’opposabilité des droits est aussi un moyen de mettre
chacun devant ses responsabilités, de faire pression pour que tous assument leurs devoirs au regard de la
solidarité nationale. L’opposabilité doit également permettre de traduire en
justice la structure publique défaillante.
Devant la multitude de blocages, la
complexité des acteurs, l’impuissance collective à régler les problèmes j’ai
acquis la conviction que le sursaut ne viendra que d’une exigence majeure
s’imposant à tous: assurer le droit au logement vraiment!
Alors
que multiplient des réformes constitutionnelles à tour de bras, nos
législateurs et nos gouvernements n’ont toujours pas trouvé le temps, le
courage d’y introduire le droit au logement. La décentralisation y est désormais reconnue, le principe pollueur
payeur y a fait son entrée pas le droit au logement !
Ce droit n’est d’ailleurs apparu qu’en 1982
dans nos lois, confirmé en 1989 après que la droite l’eut annulé. Chacun sait
désormais que les droits sociaux et économiques sont l’indispensable
prolongement des droits de l’homme. De grandes associations qui s’étaient
constituées sur l’unique défense des libertés individuelles, de l’intégrité
physique et morale des personnes ajoutent désormais à leur combat des enjeux
sociaux majeurs. Car sans un élargissement permanent du champ des libertés et
des droits, l’humanisme se dévitalise, les sociétés se sclérosent. Certes, le
Conseil constitutionnel a qualifié d’objectif à valeur constitutionnelle «la
possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent», mais une
récente ordonnance du Conseil d’Etat estime que, pour autant, le droit au
logement n’a pas rang de principe constitutionnel. Consacrer véritablement
cette exigence dans
La France avait demandé la reconnaissance du droit au logement dans
Rappelons que le droit au logement opposable
a des précédents. Les aides personnelles constituent un droit ouvert à toute
personne qui en remplit les conditions et peuvent en cas de conflit être
réclamées en justice. L’obligation pour le bailleur de louer à son locataire un
logement en état décent peut donner lieu à une réclamation de travaux devant le
juge, la procédure à suivre étant prévue par la loi. Le refus d’attribution
d’un logement social peut être contesté devant une commission qui a un rôle de
conciliation, le cas échéant avant passage devant le juge. Mais il faut aller
aujourd’hui plus loin par une extension de ces droits.
Une observation tout d’abord : le droit
à un logement décent opposable en justice n’a de portée que si l’ensemble du
dispositif économique, budgétaire et fiscal nécessaire à une vraie politique du
logement et à une production abondante est en place. Il ne s’agit donc pas de
remplacer l’effort de la collectivité par une disposition juridique qui serait
alors incantatoire mais bien de compléter l’un par l’autre. A contrario on ne
saurait attendre d’avoir suffisamment de logements disponibles pour rendre ce
droit opposable. Le but est aussi de pousser à la production des logements
nécessaires. Ainsi il nous faut aller de façon progressive à cet objectif mais
si nous n’engageons pas une première étape, nous n’atteindrons jamais le but.
La première étape aisément accessible consiste à créer
La seconde étape consiste à rendre ce droit
opposable pour des populations particulièrement exposées et qui hélas ne
mobilisent pas suffisamment l’attention des pouvoirs publics. C’est le cas de
certaines personnes ou familles, notamment les sans domicile fixe. Ils ne peuvent pas toujours accéder à un logement
ordinaire. Certains peuvent être réinsérés et accéder à terme à un logement
familial. D’autres, et il faut en être conscient, sont trop « cassés par
la rue » et ne rentreront jamais dans ce type de logements. Il faut donc
commencer par un hébergement durable qui leur permette au moins de trouver un
abri et de ne pas se sentir prisonniers d’une solution inadaptée pour eux, mais
en même temps leur assurer ensuite l’accès à un vrai logement. En tout cas,
cela renvoie aux propositions de production sur l’ensemble du territoire d’une
offre de ce type, devenue d’une extrême nécessité.
Qui
faire bénéficier du droit de réclamer un logement à l’autorité publique ?
La troisième étape consisterait à
donner le droit d’aller en justice pour réclamer le droit au logement à des
personnes modestes dont les ressources sont inférieures à un plafond et qui ont
des enfants à charge. Le fait d’avoir des charges de famille alourdissant les
dépenses du ménage, la priorité consistant à assurer l’avenir des enfants
justifient ce choix. Evidemment il
s’agit de familles qui seraient actuellement dans des conditions extrêmement
difficiles de logement, ou qui n’en ont pas du tout. Il peut s’agir aussi de
l’impossibilité pour une personne de rester dans un logement pour raison
sociale, par exemple une femme battue. Il peut s’agir enfin d’une absence pure
et simple de logement puisque l’on voit actuellement se développer le nombre
des personnes qui travaillent mais ne gagnent pas assez pour se loger. Il faut
que les familles concernées aient fait une demande de logement social sur un
territoire assez large et qu’elles n’aient pas obtenu satisfaction depuis un
certain temps.
Se pose la question délicate, du lieu
d’habitation proposé à la personne ainsi mal logée. Le plus raisonnable est de
s’en tenir à l’agglomération INSEE. Il
va de soi que la puissance publique qui serait amenée à garantir le droit au
logement doit veiller à ce que la personne puisse accéder à son emploi. Le
droit doit être donné aux personnes que l’on vient de citer d’aller en dernier
recours en justice mais il doit également être donné pour leur compte aux
associations de locataires ou à celles qui militent en faveur du droit au
logement. On sait bien que ce sont les personnes les plus en difficulté qui
vont le moins en justice pour réclamer leurs droits.
A
qui réclamer le droit au logement ?
Deux options sont possibles : l’Etat ou les
collectivités locales.
Les associations humanitaires ont en général
opté pour l’Etat, qui apparaît comme le garant de l’égalité républicaine et le
représentant supérieur de l’autorité, de l’intérêt général et de l’ordre public
entendu au sens large.
Mais il existe de nombreux arguments pour le
choix des collectivités territoriales : ce sont elles qui connaissent le
mieux la demande, elles peuvent se regrouper dans des établissements publics de
coopération intercommunale (EPCI) ayant la compétence logement, elles
établissent le plan local de l’habitat et le plan local d’urbanisme, elles
disposent du permis de construire, elles exercent l’autorité sur les offices
d’HLM et les sociétés d’économie mixte, elles ont droit à des réservations de
logements lorsqu’elles donnent leur garantie financière aux HLM, elles viennent
de recevoir la possibilité d’obtenir la délégation des aides budgétaires de
l’Etat pour la construction de HLM ou les aides aux travaux pour les
propriétaires privés, elles ont la possibilité de recevoir délégation du
contingent de logements du préfet, les communes (ou les EPCI) sont redevables
de l’obligation des 20% de logements sociaux sur leur territoire. Et il est
clair que l’opposabilité du droit au logement doit directement les toucher pour
qu’elles construisent des logements en nombre suffisant.
L’Etat ne perd pas pour autant tous ses
pouvoirs mais ils sont plus lointains et de moins en moins opérationnels. Il
conserve l’enveloppe globale des financements, la législation et la réglementation
générale, une tutelle des organismes de logement social qui devient davantage
un rôle de contrôle de régularité qu’un rôle d’autorité et d’impulsion. Les
préfets, comme l’a montré il y a fort longtemps le sociologue JC THOENIG, ont
trop souvent tendance à négocier avec des notables sans se placer en position
de force.
Mais en mettant le représentant de l’Etat
comme responsable du droit au logement et garant de l’opposabilité, on change
fondamentalement la donne car le représentant de l’Etat doit alors strictement
faire respecter aux collectivités locales les contraintes publiques qui vont de
paire avec les nouvelles responsabilités qu’elles ont acquises. Je propose donc
que l’Etat en la personne du Préfet soit bien l’autorité à qui l’on doit réclamer
le droit au logement. En revanche ce dernier doit pouvoir se retourner contre
la commune d’origine de la personne mal ou non logée s’il n’y a pas les 20 % de
logements sociaux ou s’il y a manifestement défaillance de la collectivité
locale en question.
L’intérêt du choix de l’Etat représenté par
le préfet comme référent est de permettre de résoudre les problèmes à l’échelle
d’une grande agglomération car l’Etat y est présent partout et possède des
droits de réservation sur l’ensemble du parc. Ces nouvelles dispositions
plaident pour l’organisation au niveau de chaque département d’un véritable
service public du logement qui serait l’antenne sous l’autorité du préfet, de
la nouvelle administration, de l’immobilier et du renouvellement urbain que je
crois indispensable à l’efficacité de l’Etat en la matière aujourd’hui.
L’opposabilité du droit au logement exige une administration d’action sur le
terrain.
Quels
moyens pour les élus, quelles limites à l’exercice ?
Il faut prendre toutes les précautions qui
évitent que l’opposabilité du droit au logement apparaisse comme un passe droit
et spolie d’autres demandeurs, plus classiques. Il faut donc être d’une extrême
prudence tant que la démarche ne peut faute d’offre suffisante être
généralisée. Le « numéro unique départemental » doit permettre à chaque
demandeur de logement HLM d’avoir un numéro indiquant la date de sa première
demande, critère dont il faut tenir compte. Le passage devant la commission de
conciliation qui examine les conflits relatifs aux décisions de refus doit
devenir, comme avec les commissions de conciliation sur les loyers privés, un préalable à une éventuelle action en
justice. La médiation pouvant alors s’avérer plus efficace à tout point de vue.
Il faut aussi élargir les moyens d’intervention
des élus et du préfet. Ils doivent bénéficier d’un droit de réquisition de tout
logement vacant, privé ou social, selon une procédure simplifiée, afin de ne
pas se voir refuser les candidats qu’ils proposent. Dans le secteur privé, les
logements qui donnent lieu à paiement de la taxe sur les logements vacants
seront loués au loyer d’un logement social, le propriétaire qui n’utilise pas
sa propriété ne pouvant se prévaloir d’une atteinte à sa propriété privée. Tout
logement a une vocation à participer à l’intérêt général. Coté logement social,
les organismes ayant des logements sur
le territoire d’une collectivité territoriale et sollicités par celle-ci sur le
cas d’une famille bénéficiant du droit au logement opposable doivent fournir la
liste de leurs logements vacants. Tant que la liste de la collectivité n’est
pas satisfaite, les attributions de logements sur son territoire sont soumises
à avis conforme des élus.
Par contre des limites doivent être posées
pour maintenir la mixité sociale. La désignation de bénéficiaires du droit au
logement ne peut se faire dans les ensembles sociaux connaissant un pourcentage
important de bénéficiaires de l’APL, par exemple plus de 75% .Il faut éviter de
concentrer toutes les familles en difficulté dans les mêmes immeubles.
La
procédure, les institutions.
Le recours en justice n’est pas un but en soi
mais seulement la conséquence d’une situation de mal logement qui doit être
résolue avant d’aller devant le juge. Il
est donc proposé d’élargir les compétences du Haut comité pour le logement des
personnes défavorisées. Il pourrait désormais collaborer avec le service
public du logement réparti sur l’ensemble du territoire, contribuer à la
conciliation préalable à toute action en justice. Enfin pourrait être renforcé son rôle de proposition en ce qui
concerne le logement indigne, le droit à l’hébergement et plus généralement le
droit au logement.
Ces propositions qui méritent d’être
largement débattues constituent l’amorce, déjà ambitieuse d’une mise en œuvre
effective du droit au logement opposable qui pour atteindre son objectif devra
d’ici moins de 10 ans devenir opposable pour tous.
Le scandale du
logement, Août 2005