Membre de la commission 5 sur la gouvernance écologique Marie-Noëlle LIENEMANN a participé au grenelle ainsi qu’à la réunion d’Arras. Elle sera présente jeudi à l’Elysée lors de l’allocution du président de la république qui doit présenter ses conclusions. Seront-elles à la hauteur des enjeux ? l’Etat saura t’il être exemplaire et ne pas se contenter d’annonces qui concerneront surtout les autres acteurs sans assurer une révolution des pratiques publiques, des moyens effectifs et substantiels, et garantir plus de justice sociale pour que tous puissent contribuer à la réduction des pollutions et bénéficier d’un environnement sain et préservé ? Il est trop tôt pour conclure. Mais MN Lienemann a souhaité tirer la sonnette d’alarme sur deux sujets majeurs, sous-estimés jusqu’ici dans le grenelle et sur lesquels des engagements nouveaux et précis devraient être pris.
N’oublions ni l’Eau, ni l’Europe!
L’actualité le rappelle il y a urgence pour la qualité de l’eau : pollution aux PCB du Rhône et de la Seine ou la Somme. Un récent rapport prévoyait que les mers et océans risquaient d’être rapidement vidés des poissons et de leur biodiversité.
Si, à juste titre, les changements climatiques mobilisent, l’état de la ressource en eau de la planète impose des actions immédiates et de grande ampleur. Comme l’effet de serre, la pollution et la raréfaction de l’eau constituent des menaces pour la paix et les risques de « guerre » de l’eau sont déjà là. D’ailleurs, les pollutions maritimes accélèrent le réchauffement de la planète. Les organisateurs du grenelle n’ont pas retenu l’idée d’un groupe de travail sur l’Eau. Du coup, les propositions actuelles n’engagent pas la rupture écologique nécessaire.
En effet, le dernier rapport de l’IFEN montre que dans bien des cas, la détérioration de nos eaux terrestres se poursuit et que l’eutrophisation progresse. Depuis 4 ans, la qualité physico-chimique des cours d’eaux ne s’améliore plus et les efforts pour conjurer les pollutions dues aux épurations urbaines ou aux pratiques agricoles se sont arrêtés. Les pesticides sont présents dans la quasi-totalité des eaux de surface et dans une grande partie des eaux souterraines. Les prélèvements sur la ressource ne cessent de croître, les réserves hydrauliques diminuent et se dégradent. Du coté eaux marines, les pêcheurs observent déjà la raréfaction et parfois le taux de mercure dans les poissons les rends quasiment impropres à la consommation !
La récente loi sur l’eau n’a pas tiré les conséquences de ce diagnostic inquiétant, ni pris les décisions opérationnelles à la mesure de l’enjeu. De surcroît, une fois de plus, notre pays s’apprête à ne pas respecter les directives européennes.
Comment conclure le grenelle de l’environnement sans être surs de respecter nos engagements européens ?
Dans bien des domaines, et singulièrement s’agissant de l’eau, le
respect rigoureux des directives européennes constitueraient déjà un
progrès important pour notre environnement et une petite révolution
dans notre pays. Ainsi, la France comme ses partenaires a approuvé, en
décembre 2000, la directive cadre sur l’eau qui prévoit la
restauration du bon état écologique des eaux douces à l’échéance de
2015. C’est un beau défi, porteur de progrès écologiques qui pourrait
soutenir des efforts de recherche, d’innovation comme un développement
industriel et technologique important. Mais voilà, nous sommes à des
années lumière de cet objectif et tous les spécialistes, les décideurs
savent qu’en s’en tenant à ce qui est engagé, la France ne sera pas en
conformité à l’échéance prévue. Les retards s’accumulent dans une
certaine indifférence voire avec une complicité ou un laxisme
déroutant. Ainsi, il y a quelques mois l’agence de bassin « Artois
Picardie » annonçait un plan qualifié d’ambitieux d’investissement (et
il est vrai qu’il s’agissait d’un milliard d’Euros sur six ans), mais
sans le moindre remord, elle soulignait que les eaux de son ressort
n’atteindraient pas les objectifs fixés par la directive cadre sur
l’eau. Interrogées sur le sujet, elle répondait que seul 40% des masses
d’eaux de son territoire serait aux normes européennes en 2015, et
qu’on ne pourrait espérer les atteindre qu’en 2027.
C’est une fâcheuse habitude qu’il faut stopper net. La commission
européenne a du menacer de requérir une amende de 28 Millions d’Euros,
pour que des engagements plus sérieux soient pris quant au respect la
directive nitrate- qui date de1975- dans certaines eaux de Bretagne !
Des contentieux subsistent, à hauteur de centaines de millions d’Euros
pour le défaut d’application de la directive sur le traitement des eaux
résiduaires urbaines qui elle date de 1991 ! Cette attitude donne une
image retardataire et réfractaire à l’écologie de notre pays et nous
prive de nombreux progrès tant en terme de développement économique,
technologique où de qualité de vie.
Une loi de programmation pour restaurer le bon état écologique de l’eau.
La transposition formelle de la directive cadre, effectuée dans la récente loi sur l’eau ne suffit pas. Les directives européennes exigent une obligation de résultats. L’échéance est en 2015. Aussi, on peut encore réagir, mais le temps est compté. Aussi il faut que désormais la France engage une loi de programmation, précise, financée avec un échéancier clair pour le bon état écologique des eaux de nos lacs, rivières, fleuves et nappes phréatiques. Le chiffrage doit être établi avec précision, et les financements assurés. Nous ne pouvons ni nous payer de mots, ni continuer la stratégie de l’autruche et devons obtenir ces engagements précis dans les conclusions du Grenelle.
Il n’est plus acceptable que l’essentiel des coûts retombe sur les usages domestiques et exonère largement l’agriculture, ni même que Les grandes entreprises multinationales de l’eau accumulent des profits records alors même que les pollutions se poursuivent et que le prix de l’eau ne cesse d’augmenter. Des marges de manœuvre existent. En restaurant une véritable gestion en régie de l’eau, de substantielles économies pourraient être réalisées et l’esprit de service public restauré. La bonne gouvernance écologique c’est aussi cela.
Renforcer le pouvoir des parlements pour une écocitoyenneté européenne.
En tout cas, à l’issue de ce grand happening écologique et au moment où se préparent des évolutions institutionnelles, le rôle du Parlement doit être renforcé. Il devrait être immédiatement et obligatoirement amené à délibérer, après l’adoption d’une directive européenne. Il doit alors se prononcer sur sa mise en œuvre, les financements, les responsabilités et devoirs de chaque collectivité, mais aussi sur les opportunités qui s’ouvrent en terme d’emploi, de nouveaux produits ou services, d’innovation voire d’exportation. Chaque fois qu’un engagement européen est signé, qui plus est avec une date butoir, une loi de programmation devrait être votée. L’examen parlementaire permet aussi d’informer et de mobiliser très vite tous les acteurs concernés ainsi que les citoyens.
Appliquer les textes c’est bien, participer à leur élaboration c’est mieux. La transmission des projets européens, en amont, aux parlements nationaux va devenir systématique. Veillons à ce qu’elle s’accompagne, en France, d’un devoir d’information large et de consultation des ONG. Ainsi, peut-on espérer une anticipation des débats, plus de transparence et de volontarisme dans les positions défendues dans les instances communautaires, par les pouvoirs publics français. A quoi bon parler de rupture à Paris, si le gouvernement français se montre conservateur et frileux à Bruxelles.
L’émergence d’une écocitoyenneté européenne dans notre pays pourrait être aussi une ambition du Grenelle de l’environnement !