Chers amis irlandais,
Je vous remercie de votre aimable invitation et regrette de ne pouvoir être des vôtres aujourd’hui.
J’aurais aimé pouvoir venir débattre avec vous ce 29 mai, trois ans, jours pour jours, après le vote NON de mes concitoyens au référendum sur le projet de constitution européenne et expliquer les raisons qui ont amené des européens convaincus, de gauche, membre du PS français à le refuser.
Nous sommes nombreux, à gauche, en Europe et tout particulièrement en France, à espérer que votre peuple votera NON au référendum sur le projet de traité de Lisbonne et que votre refus permettra une réorientation profonde de la construction européenne.
D’abord, soyons clairs, ce traité ressemble comme deux gouttes d’eau à la constitution que les peuples français mais aussi néerlandais ont rejetée. Il est présenté différemment, mais le texte est à quelques nuances près identiques, en particulier sur les points majeurs qui avaient justifié notre NON.
Nous refusons de consolider une certaine idée de la construction européenne, qui progressivement s’impose en s’éloignant des intentions des pères fondateurs de l’Europe, à savoir la constitution d’une vaste zone de libre échange, (sans pouvoir politique et sans arbitrage démocratique, capable de réguler, d’agir sur l’économique, le social, la monnaie) et un espace de concurrence généralisée qui au lieu d’organiser la solidarité entre les pays, les régions et entre les travailleurs, place comme valeur commune essentielle la compétition permanente qui oppose les peuples plutôt que de les unir.
Nous n’acceptions pas de durablement installer l’omnipotence de la Banque centrale Européenne, la plus indépendante du monde, qui décide totalement seule de la politique monétaire, si importante pour notre industrie (surtout pour nos exportations) et notre économie. De surcroît nos n’acceptons pas que le mandat donné à la BCE soit quasi essentiellement la lutte contre l’inflation, négligeant complètement la croissance et l’emploi. Nous voulions la création d’un gouvernement économique européen capable de peser sur des décisions de la BCE et de mieux coordonner nos politiques au service de la croissance. Rien de tout cela ne s’y retrouve ! C’est même l’inverse !
Rien non plus sur les convergences sociales permettant progressivement une harmonisation, vers le haut, des standards sociaux de bases comme le salaire minimum. Rien contre le dumping social et fiscal au sein de l’Union. Le vote à l’unanimité sur la fiscalité constitue un blocage inacceptable ; Il condamne toute action pour une juste répartition des richesses à laquelle la gauche est particulièrement attachée. Cette dissymétrie entre la reconnaissance du dogme de la « concurrence libre et non faussée » posée comme un principe intangible et le refus de tout outil de régulation et de répartition nous prépare un avenir inquiétant avec un accroissement des inégalités et de la pauvreté.
Le texte du traité accroit le libre échangisme sans règle entre l’Union Européenne et le reste du monde en durcissant dans un sens encore ultralibéral le traité de Rome. Il est ajouté (article 10A) au texte initial du traité à la fin de la phrase « l’union contribue à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements directs ainsi qu’à la réduction des barrières douanières » le mot et « autres » ce qui revient à priver l’union de la possibilité de conditionner ses échanges au respect de normes environnementales sou sociales rigoureuses. Chacun voit bien, en particulier pour lutter contre le changement climatique ou dans la mise en place de réglementation pour les produits chimiques que cela constitue un frein considérable car sans ces exigences à nos frontières nos entreprises risquent de refuser des réglementations ambitieuses ou de délocaliser !
Même enjeux sur les services publics qui ne sont en rien défendus et risquent de disparaitre au profit de la concurrence généralisée, cela peut même de concerner la santé !
Il est clair que ce nouveau traité tourne le dos à toute perspective d’une Europe plus sociale, plus solidaire et n’accroit pas réellement la démocratisation des institutions permettant aux citoyens de l’Union de mieux se faire entendre.
Alors les Irlandais ont entre leurs mains la possibilité d’obliger les institutions européennes à repenser notre avenir commun en des termes nouveaux et un Non venu de votre pays exigerait sans doute que, dans nos Etats, la voix puisse à nouveau être donnée aux citoyens. Sinon les mêmes décideurs qui nous imposent depuis des années des choix anti sociaux et bureaucratiques pourront continuer à faire l’Europe sans les peuples et parfois contre eux.
Marie-Noëlle LIENEMANN
Députée Européenne
Ancienne Ministre
Membre de la direction du Parti Socialiste Français