Dominique Strauss-Kahn ne cesse de rappeler que, pour l’heure, il n’a qu’une chose en tête, sa mission comme directeur général du FMI et c’est, finalement, le seul sujet sur lequel on ne l’interroge pas. Ce fut particulièrement frappant lors de l’interview de Laurent Delahousse, dimanche soir sur France 2. Oui la question de la mondialisation est essentielle, la mise en œuvre de véritables régulations financières, économiques, sociales et environnementales est un impératif et c’est bien là que l’on pouvait attendre l’avis, l’engagement, une sorte de compte rendu de mandat d’un responsable de gauche au sommet d’une des institutions au cœur de cette globalisation.
Fort opportunément DSK indique que nous ne sommes pas sortis de la crise sociale. Au passage, je ne suis pas très convaincue du fait que l’on soit en voie de sortir de la crise financière et de la crise économiques lorsqu’on voit repartir de plus belle le bonus des traders, les profits des établissements financiers, les spéculations de tous ordres qui sont autant de signes montrant que le décrochage entre la finance et l’économie réelle demeure et n’est en rien conjuré !! Or là se trouvait l’une des raisons majeures de la crise. L’autre plongeait ses racines dans le déséquilibre croissant entre la rémunération du capital et celle du travail au détriment de ce dernier, sous la pression d’une concurrence mondiale où le dumping social, fiscal, environnemental est généralisé. Peut-on sérieusement croire qu’on sortira de la crise sociale sans remettre en cause ce libre échange et cette concurrence généralisée ?
Quand DSK dénonce le chômage massif en Europe, il n’évoque pas la responsabilité de cette logique destructrice, en particulier ses effets sur la désindustrialisation galopante qui se développe sous les coups de boutoir de ces dumpings. Et du coup, il ne fait aucune proposition pour y remédier. On aurait pu attendre un plaidoyer en faveur du juste échange, des initiatives pour introduire des critères sociaux dans le commerce mondial, un soutien actif à la taxation des mouvements de capitaux, un point précis sur la réalité actuelle des paradis fiscaux qu’on nous avait annoncés en voie de disparition, où sur les bonus qui devaient être limités et encadrés… Bref, on aurait aimé savoir ce qu’il avait défendu et fait au G20 et comment il comptait faire avancer ces exigences.
Et puis l’accroissement des inégalités, les surprofits capitalistiques en regard de salaires et de conditions de travail dégradés ne touche pas que notre continent. C’est aussi le cas des USA, mais aussi des pays émergents…D’ailleurs à aucun moment DSK n’évoque les marges de manœuvre essentielle que sont la redistribution des richesses, la répartition différente des profits et des gains de productivité.
Non les citoyens ne sont pas rayonnants d’optimisme dans les autres pays tandis que les français seraient en pleine déprime, seuls, au cœur d’une mondialisation heureuse…Regardons les manifestations en Chine. Les puissants soulèvements en Afrique du Nord commencent sur la question sociale. Et les difficultés ne viennent pas seulement de la captation des richesses par les tyrans. La disparition de pans entiers de l’industrie textile tunisienne avec l’ouverture totale des marchés mondiaux, les effets de la spéculation sur le blé et les matières agricoles en Egypte ont provoqué une colère populaire qui, fort heureusement, s’est transformée en exigence de changement, en révolution… Pourtant, les experts du FMI donnaient, il y a peu, des satisfecit à l’économie tunisienne. Toute proportion gardée, les résultats des élections dans le Land de Hambourg en Allemagne témoignent, là aussi, d’une insatisfaction réelle face à la politique d’Angela Merkel, pourtant tant vantée par les experts économiques. Evidement tout dépend du baromètre et des indicateurs que l’on choisit. Et ceux des banquiers du FMI ne sont pas ceux des peuples. Là est la question !
Oui la politique de la droite et de Nicolas Sarkozy a aggravé notre situation, démoralisé le pays et les français, affaibli la France. Tout cela est dramatique mais la lucidité commande d’analyser la part qui revient au système dominant qui s’impose sur toute la planète. L’ambition d’un homme et d’une femme de gauche doit être, à l’évidence, de le transformer en profondeur! Si le mot socialisme garde un sens c’est bien pour cela, pour la justice sociale, l’égalité, l’émancipation humaine et pas seulement pour une vague espérance ou l’innovation.
A aucun moment, le journaliste n’a interrogé le directeur général sur les plans d’austérité imposé aux pays dit endettés qui ont recours au FMI. On aurait aimé savoir ce que DSK pensait de la demande exorbitante du FMI qui veut imposer à la Grèce une privatisation massive de son patrimoine. La somme envisagée serait de 50 Milliards d’Euros, alors même que le gouvernement de ce pays n’envisageait pas de dépasser les 7 Milliards ! Cette question n’est pas neutre car elle touche aux services et biens publics que les libéraux veulent voir disparaitre et parce que la vente des actifs qui a eu lieu dans de nombreux pays n’a rien réglé, au contraire elle a appauvri ces états et les a privés de recettes pérennes. Le bilan de la privatisation des autoroutes mais aussi de nombreuses entreprises en France est globalement négatif ! La purge libérale demeure le catéchisme du FMI. J’attendais que DSK fasse au moins quelques propositions fortes montrant une autre voie pour la sortie de crise, en particulier sur la fiscalité, sur la relance par les salaires et les investissements. Ce sera peut-être pour une autre fois et il est vrai que les commentateurs ne l’ont guère attendu sur ce point. Le suspense sur son éventuelle candidature faisait l’audimat et le buzz. C’était pourtant cousu de fil blanc : il ne dirait rien, ne fermerait aucune porte. Mais tout le reste ne comptait pas et pourtant !
DSK est-il d’accord pour la diminution des postes d’enseignants, de fonctionnaires et la réduction des retraites? Cette question des retraites est d’ailleurs évoquée dans l’interview du journal Le Parisien. D’abord, dit-il, il n’est pas anormal de réduire les retraites de 17% lorsqu’elles ont été augmentées de 42%. Ce que ne dit pas le directeur du FMI c’est que ces retraites sont, par exemple en Hongrie, voisines du seuil de pauvreté et que la hausse de 42% s’opérait sur des pensions très, très faibles ! Face aux lecteurs de ce journal, il reprend l’antienne sur le fait que comme on va vivre davantage, il faudra travailler plus longtemps… Oubliant de dire qu’une masse croissante de salarié ne rêve que d’une chose , c’est de travailler à temps plein, qu’il faut faire cotiser d’autres revenus, et que toute l’histoire de l’humanité est faite d’un allongement de la vie et d’une réduction du temps de travail. Oublié aussi l’engagement de tous les partis de gauche et la revendication de tous les syndicats de restaurer le droit à la retraite à 60 ans. Certains nous traiterons d’esprits chagrins, mais nous considérons que ce droit doit être restauré dès le retour de la gauche au pouvoir, avec la mise en œuvre des mesures permettant de trouver les 44 Milliards d’Euros qui manquent à l’horizon 2016 !
DSK a raison de dénoncé les bas salaires et de compatir avec le quart des salariés français qui gagnent moins de 750 Euros. Il serait bien qu’il appelle les gouvernements à augmenter les salaires, qu’il prenne le contrepied d’un Trichet et du pacte de « compétitivité » de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Nul ne doute que sa voix porterait ! Il est toujours permis d’espérer !