Marie-Noëlle Lienemann a publié un point de vue dans le quotidien Le Monde. N'hésitez pas à réagir !
Ici on agit, là on s'alarme. D'un côté, la Chine, la Russie, les pays latino-américains et ceux du Golfe développent des fonds souverains qui constituent de puissants leviers financiers permettant d'agir et de peser sur l'économie mondiale : ils représentent aujourd'hui 2 500 milliards de dollars et en capitaliseront dix fois plus d'ici à 2030 selon le Fonds monétaire international (FMI). De l'autre, les pays de l'Union européenne se contentent de protester contre "le manque de transparence" de ces fonds qui achètent nos entreprises. L'Europe, aveuglée par ses dogmes libéraux, est incapable de prendre la mesure du changement profond qui affecte la mondialisation. La plupart des pays propriétaires de fonds souverains ont cédé aux sirènes du marché, mais utilisent les armes du système pour asseoir leur pouvoir, à travers le contrôle du capital, et faire fructifier leurs richesses, pétrolières, agricoles ou en matières premières.
Pendant ce temps-là, l'Union européenne fait la chasse aux aides d'Etat et exige toujours plus de "privatisations". Pendant ce temps-là, le traité, dit "simplifié", tend à proscrire toute limitation des investissements directs.
L'Union est en retard d'une "guerre économique" et les stratégies défensives, comme la création de golden-share dans les sociétés européennes, proposées par Angela Merkel sont insuffisantes. Car notre porosité est devenue alarmante, particulièrement en France, où le capitalisme a été marqué par une forte dimension publique. Legs du colbertisme et de notre vision républicaine qui place l'Etat comme garant de l'intérêt national, la puissance du capital public s'est affirmée, après la guerre et avec le programme national de la Résistance. Les nationalisations de 1981 ont permis de relancer d'importantes entreprises, en particulier industrielles, en grande difficulté. Rappelons, pour les jeunes générations, que ces sociétés ainsi dotées ont su évoluer, se moderniser et conquérir des parts de marché. Elles ont connu de très beaux succès et rapporté de jolies plus-values à l'Etat lors de leur privatisation.
Les temps changent, les Etats sont à nouveau appelés à la rescousse. Les récents déboires de la Société générale devraient en faire réfléchir plus d'un ! En tout cas, force est de constater que les vagues successives de privatisations depuis les années 1993 ont fragilisé notre économie. Elles l'ont exposée à la finance internationale, qui détenait, en décembre 2006, 47 % du capital des sociétés du CAC 40 contre 40 % dix ans auparavant. Les pactes d'actionnaires censés servir de bouclier sont pour la plupart devenus caducs. Et la France se réjouit d'être devenue l'une des terres recherchées d'investissements étrangers.
Ces fonds dictés par la seule optimisation financière de court terme contribuent à hâter les délocalisations. De surcroît, la rémunération du capital étant de plus en plus forte par rapport à celle du travail, les richesses produites s'orientent hors de l'Hexagone et finissent par financer les retraités des autres pays. Nous voici spoliés des fruits de notre travail !
Le pouvoir est plus que jamais dans la détention du capital. Il est donc urgent de créer des fonds souverains français. En effet, entre la nationalisation à 100 % et la privatisation, les participations, même minoritaires, au capital d'entreprises industrielles peuvent permettre de peser sur les choix stratégiques de ces entreprises, sans être nécessairement destinées à s'éterniser dans tous les secteurs.
Les fonds de la Caisse des dépôts et consignations devraient être ainsi en partie mobilisés. Mais, aussi, le fonds de réserve des retraites (33 milliards d'euros) pourrait être une amorce et doit être à nouveau abondé. Nos concitoyens sont certainement prêts à assumer de nouveaux prélèvements et l'affectation de nouvelles recettes pour assurer l'avenir des retraites, surtout s'ils contribuent aussi au redressement industriel et économique de la France. Ces prises de capital public généreraient des flux financiers conséquents et créeraient un effet levier prometteur. Les dividendes des entreprises publiques versés en 2006 représentent plus de 9 milliards d'euros !
Les commentaires récents