"18 mois chrono" : une cohabitation imaginaire
| 31.12.10 | 18h05 • Mis à jour le 31.12.10 | 18h05
Inévitablement, la couverture du livre fait penser à la série américaine "24 Heures chrono". Les bobines de
Martine Aubry, Dominique Strauss-Kahn, Marine Le Pen et Dominique de Villepin semblent guetter le héros à l'air soucieux qui occupe l'espace central. Mais là, c'est
Nicolas Sarkozy qui a volé la vedette à
Jack Bauer.
Tous deux anciens ministres de François Mitterrand, Marie-Noëlle Lienemann - qui a été également secrétaire d'Etat au logement de Lionel Jospin - et Paul Quilès nous entraînent là où on ne les attendait pas. Le sous-titre de 18 mois chrono, une cohabitation du troisième type, annonce la couleur : avec le concours du journaliste Renaud Chenu, ils se sont livrés à un exercice, souvent drôle, tantôt grave, de politique fiction.
Imaginons donc. En octobre 2010, quelques jours après l'adoption de la réforme des retraites, Nicolas Sarkozy décide, comme Jacques Chirac en 1997 et malgré les avis contraires, comme celui de Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP, qui redoute "une belle veste", de dissoudre l'Assemblée nationale. "Je sollicite vos suffrages pour qu'une majorité renouvelée me permette de poursuivre la mission de redressement du pays", déclare le président à la télévision, en prévenant qu'il n'acceptera pas "un laisser-aller dangereux, tant sur le front de l'économie que celui de la sécurité". "Il est fou !", s'exclame Dominique Strauss-Kahn, en recevant un SMS "Sarkodissou".
A l'issue d'une campagne menée tambour battant, la gauche l'emporte d'une courte tête. Grâce aux bons soins de l'UMP, Marine Le Pen est élue députée. Martine Aubry forme un gouvernement très "gauche plurielle" avec des écologistes et des communistes. Laurent Fabius est aux affaires étrangères, François Hollande à Bercy. Recalé par le président au ministère de la justice, Arnaud Montebourg préside le groupe socialiste. Ségolène Royal devient la première présidente de l'Assemblée nationale. Et Harlem Désir se retrouve à la direction du PS.
Très studieuse et très directive, Martine Aubry se coule parfaitement dans ses habits de premier ministre, sachant même préserver des "dîners en amoureux" avec son mari... La cohabitation est musclée, souvent au bord de la rupture alors que se rapproche l'élection présidentielle. Martine Aubry rétablit la retraite à 60 ans et fait abroger la réforme territoriale. Nicolas Sarkozy pousse ses amis à la torpiller et occupe, avec la présidence du G20, l'espace international.
Le savoir-faire des auteurs, dotés d'une très bonne connaissance des arcanes du pouvoir et du monde politique, à gauche et à droite, est de rendre presque vraisemblable un scénario aussi hautement improbable. Croqués sans excès de méchanceté, les acteurs sont crédibles. Et les pensées qui leur sont prêtées sont souvent amusantes : "Elle ne me laissera rien passer" (François Hollande à propos de son ex-compagne) ; "Pourquoi plus rien ne fonctionne normalement depuis mon élection ? Avant, dès que je faisais un truc, ça fonctionnait. La droite était à mes pieds, Chirac tremblait, la presse me mangeait dans la main" (Nicolas Sarkozy).
Le suspense n'est pas aussi haletant que dans le thriller américain, l'intrigue y est moins violente - même si elle se déroule sur fond de situation internationale explosive -, mais le récit est très enlevé. On regrettera la quasi-absence de tête-à-tête entre le président et son premier ministre et les plongées artificielles chez les "vraies gens".
A travers cette fiction, dont on se gardera de livrer aux lecteurs l'épilogue de 2012, Marie-Noëlle Lienemann et Paul Quilès, animateurs du club Gauche Avenir, à l'aile gauche du PS, ont aussi légitimement fait passer leurs idées, notamment en faveur d'états généraux de la gauche. Encore de la fiction ?
Michel Noblecourt
"18 mois chrono" par Marie-Noëlle Lienemann, Paul Quilès, Renaud Chenu et Jean-Claude Gawsewitch ; 336 p., 18,90 €
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