La crise des subprimes n’est pas un simple dérèglement du système du à des abus incontrôlés. Ce sont les principes même de la financiarisation généralisée, du tout marché et de la suppression progressive des régulations et interventions publiques qui aboutissent au gouffre financier actuel et aux millions de foyers qui ont perdu leur logement aux USA.
L’immobilier d’abord, l’hyper-financiarisation ensuite : les USA ont toujours privilégié un système visant à pousser à l’accession à la propriété des couches populaires et moyennes. Durant les trente glorieuses ou les périodes de forte inflation le système n’a pas eu trop de mal à fonctionner, même si déjà dans cette période les plus pauvres vivaient dans des taudis ou des mobil-homes. Mais la hausse des salaires, l’évolution des taux d’intérêts et des prix permettaient de concrétiser pour bon nombre d’habitants cette part du rêve américain.
Le crédit
était d’autant plus abordable qu’il était relativement sécurisé
par deux organismes de consolidation du crédit
hypothécaire : Fannie Mae et Freddy Mac qui étaient alors des
organismes totalement publics… leur privatisation progressive qui a
commencé
dans les années 70 a ouvert la boite de
pandore, faisant monter en puissance la prise de risques incontrôlés
pour
accroitre les volumes et les dividendes des actionnaires. Le système de
titrisation a permis de « répartir » ces risques et donner
l’impression d’une impossibilité de stopper la spirale et la dérive.
Tous les
jours étaient inventés de nouveaux produits dérivés, comme autant de
fuites en
avant éclaboussant une très grande partie des opérateurs bancaires.
Ajoutons à cela l’accroissement
aux USA comme ailleurs de la précarité, de la stagnation des salaires
(le
salaire moyen a aujourd’hui le même pouvoir d’achat qu’en 1920..), la
fragilisation des ouvriers et salariés et la hausse des prix
immobiliers sans
rapport avec les revenus salariés et là, la descente aux
enfers s’engage inexorablement. Nul ne veut voir et
reconnaitre le défaut structurel de ce système et tous les discours sur
la
transparence qui aurait fait défaut ne sont pas inexacts mais largement
insuffisants à expliquer la situation et à définir les voies d’avenir !
La réalité est que l’alternative
et ce qui aurait été nécessaire, procède d’une logique radicalement opposée aux
fondements néolibéraux et idéologiquement insupportable à ceux qui veulent
coûte que coûte nous imposer leur pensée et désarmer la critique du capitalisme
financier transnational.
Quelques leçons simples doivent être tirées : Rendre tout le monde propriétaire est une absurdité , si on veut répondre à la diversité des besoins et des situations , il faut un équilibre entre le locatif et l’accession , second point il est indispensable de maintenir le coût du logement en locatif comme en accession à un prix abordable et le marché ne peut le garantir d’où l’importance d’un parc public, social qui joue un rôle majeur de régulateur des prix et par ailleurs des politiques fiscales et de l’Etat qui empêchent les spéculations et les dérives abusives des prix de l’immobilier et du foncier. Troisième point, le crédit doit être correctement encadré et sécurisé par des opérateurs publics. Il ne s’agit pas de devenir malthusien dans l’octroi du crédit mais de veiller à sa juste adaptation aux capacités des emprunteurs et à l’intérêt général. On voit ainsi que la création de fonds de garantie publics permettent ainsi d’élargir l’accès à des prêts pour des familles modestes qui d’ailleurs sont rarement en surendettement par l’immobilier. Là, se trouve aussi poser la politique des taux. Fort heureusement a France a historiquement privilégié l’octroi de prêts à taux « fixes » dans l’immobilier, même si depuis quelques années les banques ont d’une part poussé les acquéreurs à l’allongement de leur endettement et introduit une part croissante à taux variables. Mais le niveau des taux est un enjeu politique et économique majeur. Or les Etats européens ont au détour de l’acte unique européen puis du pacte de stabilité définitivement gravé dans le marbre lors du traité d’Amsterdam ont abandonné le pouvoir d’agir, seuls ou ensemble sur les taux (cf indépendance de la banque centrale) mais aussi d’agir concrètement sur le crédit devenu tributaire du grand marché mondial et libéré des capitaux. Il est clair que la crise révèle l’urgence de restaurer des capacités d’intervention publique sur la monnaie, les taux d’intérêt, les prix et le crédit. L’Europe doit tirer les leçons de cette crise et modifier sa politique monétaire, économique et ses institutions libérales. C’est là une leçon essentielle que peu ont aujourd’hui le courage de tirer.
Enfin, on voit bien que ce déraillement dangereux du système est aussi favorisé par l’accroissement des inégalités et la chute de la solvabilité des ménages. Une solvabilisation artificielle a été entretenue, par l’allongement des prêts ou par un surendettement privé considérable, mais il y a nécessairement une limite à l’exercice et de fait rien ne sera possible sans une nouvelle répartition des richesses permettant à la grande majorité des citoyens de vivre normalement de son travail. La crise des subprimes est aussi le fruit d’une politique qui depuis des années survalorise la rémunération des placements financiers et du capital par rapport au travail ! L’inversion de ce mouvement engagé depuis 25 ans ne se fera pas sans heurts et sans doute sans une remise en cause du libre échange généralisé et de la libre circulation des capitaux. James Tobin qui n’a jamais été un homme de gauche voyait il y a désormais bien longtemps la nécessité de rendre visible et contrôlable les mouvements financiers en instaurant une taxe, très faible au demeurant. Même cette démarche a été refusée, jugée impossible à instaurer alors même qu’un grand espace comme l’union européenne si elle avait donné le la , n’aurait pas été pénalisée vu son attractivité financière et aurait porté un message de régulation évitant au monde bien des égarements en même temps qu’une certaine vision de l’avenir… Mais l’aveuglement libéral s’est imposé avec la complicité parfois même des sociaux démocrates !
Car enfin il faut bien rappeler que voilà des lustres que les USA vivent à crédit sur le dos de la planète toute entière, aspire des flux financiers considérables avec la domination de leur monnaie et leur politique de taux d’intérêt et qu’à force d’accepter et de suivre leur logique nous avons conforté leur domination et notre dépendance. On nous dit souvent que la France est plombée par un déficit public et un endettement public important. A l’évidence, il faut s’attaquer à ces problèmes récurrents mais regardons avec plus d’objectivité notre situation: Si l’endettement public est fort, l’endettement privé est faible, ce qui n’est absolument pas le cas dans la plupart des autres pays notamment aux USA , ainsi notre endettement global est plutôt limité et du point de vue macro économique , c’est cela qui compte. Ce constat ne vise pas à sous estimer la nécessité de choix économiques, notamment fiscaux visant à réduire les déficits, mais à tordre le cou à la thèse selon laquelle, il n’y a aucune possibilité de relancer la croissance en France. Je crois le contraire. Pourquoi ne pas lancer de grands emprunts , garantis par l’Etat pour des investissements prometteurs d’avenir, pourquoi ne pas accroitre des prélèvements pour constituer des fonds souverains français soutenant notre industrie par des prises de capital public dont les dividendes abonderaient à terme le fond de réserve des retraites… A vrai dire, un new deal est nécessaire ici comme ailleurs, il doit reposer sur une hausse des salaires, une réforme des prélèvements qui doivent moins taxer le travail ; elle doit restaurer un impôt sur le revenu digne de ce nom et sa progressivité mais aussi ponctionner davantage les mouvements et revenus du capital. Ces marges de manœuvre nouvelles doivent être mises au service du soutien aux investissements. Elles seront d’autant plus efficaces que nous oseront réinstaurer des protections ciblées dans nos échanges !
Rien ne serait pire que de céder au fatalisme, derrière des arguments du genre : si l’Europe ne fait pas, on ne peut agir seul, s’il n’y a pas une réforme de la gouvernance mondiale, on est bloqué.
Il faut œuvrer à une nouvelle donne mondiale, à un changement de cap en Europe mais on doit agir ici et maintenant.